Éducation aux Médias et à l’Information
Texte écrit collaborativement en introduction aux journées départementales 2014-2015, coordonné par Marion Carbillet.
1. Les prescriptions institutionnelles
L’EMI est une prescription institutionnelle, qui apparaît explicitement dans la loi pour la Refondation de l'Ecole et dans le référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l'éducation de juillet 2013. Elle apparaît dans les compétences spécifiques aux professeurs documentalistes (compétences D1 à D4):
«Ils [les professeurs documentalistes] ont la responsabilité du centre de documentation et d'information, lieu de formation, de lecture, de culture et d'accès à l'information. Ils contribuent à la formation de tous les élèves en matière d'éducation aux médias et à l'information.[...]
Les professeurs documentalistes, enseignants et maîtres d'oeuvre de l'acquisition par tous les élèves d'une culture de l'information et des médias :
- Les professeurs documentalistes apportent les aides nécessaires aux élèves et aux professeurs, notamment pour que les apprentissages et l'enseignement prennent en compte l'éducation aux médias et à l'information. Ils interviennent directement auprès des élèves dans les formations et les activités pédagogiques de leur propre initiative ou selon les besoins exprimés par les professeurs de discipline.
- Maîtriser les connaissances et les compétences propres à l'éducation aux médias et à l'information :
- Connaître les principaux éléments des théories de l'information et de la communication.
- Connaître la réglementation en matière d'usage des outils et des ressources numériques ; connaître le droit de l'information ainsi que les principes et les modalités de la protection des données personnelles et de la vie privée.
- Connaître les principaux concepts et analyses en sociologie des médias et de la culture.
- Savoir définir une stratégie pédagogique permettant la mise en place des objectifs et des apprentissages de l'éducation aux médias et à l'information, en concertation avec les autres professeurs.
- Faciliter et mettre en oeuvre des travaux disciplinaires ou interdisciplinaires qui font appel à la recherche et à la maîtrise de l'information.
- Accompagner la production d'un travail personnel d'un élève ou d'un groupe d'élèves et les aider dans leur accès à l'autonomie.»
Sur Eduscol, l’EMI est définie ainsi :
« Une pratique citoyenne des médias : une lecture critique et distanciée de leurs contenus et une initiation aux langages, aux formes médiatiques pour pouvoir s'informer suffisamment, s'exprimer librement et produire soi-même de l'information
Le développement d'une compétence de recherche, de sélection et d'interprétation de l'information, ainsi que d'évaluation des sources et des contenus Une compréhension des médias, des réseaux et des phénomènes informationnels dans toutes leurs dimensions : économique, sociétale, technique, éthique. »
Le projet de socle commun lui aussi insiste sur ces compétences.
2. Essayons de délimiter les contours de l'EMI
Dans les faits, les professeurs documentalistes réfléchissent, expérimentent, et enseignent depuis longtemps déjà l'EMI. Nombreux en effet sont ceux qui mènent des séances sur la présence numérique, mettent en place des activités de publication en ligne, forment au droit d’auteur et à la question du partage des informations, font participer les élèves à un réseau social littéraire, etc.
Avec ce texte, nous essayons de définir ce qu’est l’EMI et de préciser comment les savoirs déjà enseignés par les professeurs documentalistes peuvent y trouver leur place.
Cette tentative de définition s’enrichira des échanges qui auront lieu lors des JDD, afin de prendre en compte les points de vue de chacun.
- Pourquoi l’émergence de l’EMI ? Evolution des notions de média et d'information
Ces dernières années, deux phénomènes ont affecté nos pratiques sociales, nos manières de lire et de communiquer :
- la mise en ligne généralisée des documents numérisés ou numériques (photographies, films, disques…)
- l'apparition des outils de communication en réseau (réseaux sociaux, systèmes de recommandation des sites marchands, …)
La notion même de média en a été bouleversée. Aujourd’hui, le terme “média” peut désigner des choses très différentes :
- une entreprise, une source (TF1, Le Monde, Médiapart, Facebook…)
- une forme d’information (photographies, vidéos, sons…)
- un format (les podcasts d’une émission radio, le blog d’un passionné de cuisine, le carnet de recherches en ligne d’un thésard, le site du Monde, une websérie…)
- une structure (la presse, le Web)
- un canal (l’imprimé, Internet…)
etc …
Cette mutation des médias entraîne des mutations de la notion d’information. Les médias du Web2 demandent la coopération et/ou la participation des usagers. Cette participation peut prendre différentes formes plus ou moins engageantes allant du simple partage de contenus à la publication de contenus propres, en passant par le simple clic : tous les boutons “j’aime”, les signalements d’articles les plus populaires, ou encore “ceux qui ont acheté ce produit ont aussi
acheté…”. En participant, nous laissons des traces (traces volontaires, involontaires, subies). Des fichiers de données sont ainsi constitués sur les individus.
L’information devient donnée et les fichiers de données qui s’échangent et se vendent sur nos activités en ligne et hors ligne représentent un enjeu social et économique important et interrogent notre capacité à les maîtriser.
Ainsi la notion d’information se construit autour de ses trois facettes : l’information/connaissance, l’information/donnée et l’information news.
- Quels objectifs pour l'EMI ?
Dans ce contexte de renouvellement de sens des termes “media” et “information”, l’Éducation aux Médias et à l’Information semble avoir pour but de donner aux élèves les moyens d’agir dans et sur ce monde mouvant hypermédiatisé en assumant leur présence numérique.
Il ne s’agit aucunement d’une aveugle course à la nouveauté. L'École doit permettre à chacun de dépasser la seule manipulation d’outils, le bavardage en ligne ou le simple entretien d’une bonne identité numérique.
Une fois posés ces principes de départ, il est essentiel de voir comment concevoir nos séances d'EMI. Pour les activités scolaires, on peut reprendre les objectifs qui existaient déjà pour les médias pré-numériques, et qui se retrouvent autour du triptyque compréhension - critique - création.
Compréhension de l’environnement numérique dans lequel on évolue (le caractère participatif de l’élaboration de l’information et de sa diffusion, apprendre à situer ses pratiques personnelles dans un ensemble plus large…)
Critique de cet environnement en en interrogeant les enjeux, notamment économiques (développer un esprit et une pensée critique, connaître l’économie des médias…)
Création d’oeuvres médiatiques en mobilisant les savoirs et savoirs-faire nécessaires pour être acteur de son environnement numérique (et transformer une information en savoirs et en connaissances publiables)
Chaque séance peut être réfléchie en se demandant que lequel ou lesquels de ces trois objectifs d'apprentissage est mis en avant.
Il est dans tous les cas nécessaire d’éviter le travers d’un apprentissage qui s’appuierait sur un discours anxiogène.
3. L’EMI et le professeur documentaliste : quelle place pour l'enseignement de information-documentation ?
- Quels sont les savoirs essentiels de l’EMI, du point de vue du professeur documentaliste ?
Les notions essentielles en information-documentation : document, information, source, média trouvent ici toute leur place. Mais elle évoluent fortement.
A celles-ci s'en rajoutent des nouvelles. La définition de ces nouvelles notions n’est pas toujours stabilisée puisque l’environnement numérique dans lequel elles se placent est en constante évolution. Trois d’entre elles paraissent fondamentales :
- La notion d’autorité. L’élève, comme le citoyen, est en position d’autorité et de responsabilité par ses publications. L’élève-usager d’internet contrôle toute la chaîne : production, mise en ligne, recommandation, reproduction.
De l’autre coté du miroir, l’élève-usager d’internet doit être capable d’évaluer l’autorité de sa source. - La redocumentarisation. L’internaute pratique la redocumentarisation en faisant un seul document de plusieurs, en y ajoutant des tags, des commentaires etc. Quand l'internaute met en ligne ce nouveau document issu de la redocumentarisation, il fait acte d'éditorialisation
(ex : un portail scoop.it, un tableau pinterest, un portail netvibes, un storify, etc.) . - La présence numérique qui sous-tend désormais aux relations sociales
- Quelles sont les compétences qui doivent être développées par l’EMI ? Lire et écrire avec le numérique
C'est sans doute en devenant des "lettrés du numérique", en développant de nouvelles compétences de lecture et écriture que nos élèves pourront habiter, en citoyens, leur environnement numérique.
Plusieurs compétences :
- Apprendre à lire les “écrits d’écran”. Il existe de nouvelles formes de textes qu’il faut savoir lire : reconnaître les hypertextes, lire un tweet, lire une infographie (pictogrammes), lire des logos… Il faut aussi, selon Jean François Rouet, apprendre à maîtriser une lecture fragmentée.
- Apprendre à développer de nouvelles stratégies pour analyser la fiabilité, la pertinence, la véridicité ( = le point de vue) des contenus et des sources. Il faut être capable de rendre compte d’arguments contradictoires sur un sujet de controverse (mariage pour tous, OGM, etc.)
- Acquérir des compétences organisationnelles, éditoriales. Il faut apprendre à agencer, structurer, organiser des contenus. Il faut aussi savoir les mettre en valeur (concurrence forte des publications dans une économie de l’attention) et les partager. Il semble essentiel, enfin, de connaître un panel des outils disponibles afin de choisir celui qui sera adapté au projet éditorial.
- Assimiler les règles de cette publication en ligne : droit d’auteur et propriété intellectuelle, droit à l’image, la question de l’oubli sur Internet
Cet apprentissage du lire/écrire numérique doit nécessairement s’appuyer sur des bases solides en matière de lecture sur support imprimé, et sur des pratiques de lecture lente et attentive.
Le travail de précision que nous entamons dans ces journées départementales semble utile au moment où les textes officiels inscrivent l’EMI comme un enseignement nécessaire dont le professeur documentaliste est le “maître d’oeuvre”. C’est en effet en ayant une vision claire de ce que recouvre l'EMI que nous pourrons envisager nos progressions, nos interventions en autonomie et nos collaborations disciplinaires, bref donner à notre enseignement une structuration à la hauteur des enjeux à venir.
Pour aller plus loin
Projet de loi pour la refondation de l'École
http://www.education.gouv.fr/cid66812/projet-loi-pour-refondation-ecole-une-ecole-juste-pour-tousexigeante-pour-chacun.html
Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l'éducation
http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=73066
L'éducation aux médias et à l'information, dossier de savoirs cdi octobre 2014
http://www.cndp.fr/savoirscdi/cdi-outil-pedagogique/apprentissage-et-construction-des-savoirs/leducationaux-medias-et-a-linformation.html
Éduquer aux médias et à l’information, une interview de Divina Frau-Meigs
http://ecolededemain.wordpress.com/2014/06/17/eduquer-aux-medias-et-a-linformation-une-interview-dedivina-frau-meigs/
Vidéo de Jean François Rouet sur l'espace documentation de l'Académie de Toulouse
Médiadoc n°11 «EMI et enseignement info-documentaire.Vol.1» décembre 2013 et N°12 «L’EMI, enseignement de spécialité du professeur documentaliste (Vol.2 Perspectives) juin 2011