L'arpentage est une méthode de lecture collective pratiquée au départ dans des cercles militants populaires, qui se réinvente depuis quelques années, principalement en bibliothèques ou milieu associatif. Cette pratique est-elle transposable en milieu scolaire, et notamment en séance d'éducation aux médias et à l'information ?
« Arpenter » signifie « mesurer, parcourir à grands pas, marcher ». Et c’est bien de cela qu’il s’agit dans la lecture en arpentage : lire un livre en le parcourant à grands pas, de long en large, afin d’en retirer sa substantifique moelle ou... ce que l'on arrive à y trouver.
Créée par les cercles ouvriers dans le cadre de l’éducation populaire, utilisée dans le maquis lors de la Résistance, cette technique permet de prendre connaissance d’un ouvrage de façon collective en vue de son appropriation critique. Il s’agit d’une lecture partiale et partielle d’une œuvre. On n’est pas là pour tout trouver formidable ni prétendre à l'exhaustivité, c’est un outil critique !
Premier temps
Le ou la professeure, ou un élève si le travail a été demandé en amont, peut présenter le contexte du livre, de l’auteur, la couverture… Comme on peut les découvrir ensemble, en groupe, et faire des hypothèses. C’est plus intéressant, mais ça prend davantage de temps... et ça ne marche qu'avec des classes un peu volubiles.
Deuxième temps
On se compte, on décide si on lira collectivement par chapitre ou dans l'intégralité, et on déchire le livre selon ces décisions. Quelques pages (consécutives, quand même) de l’ouvrage sont distribuées à chaque élève. Cette étape fait toujours un effet important : la plupart des élèves y voient un scandale, c'est l'occasion de réfléchir à l'intérêt du livre, à son usage. Une petite provocation qui surprend toujours, et qui n’est pas anodine. L’expression « partager le livre » est ici littérale.
Troisième temps
Chaque élève lit et relève des informations à partager ensuite par la classe. Je fonctionne avec des post-it de couleurs qui diffèrent selon les ouvrages.
Dans ce cas, 1 post it = 1 information et la couleur du post it indiquera le type d’information
Pour une fiction, cela peut donner par exemple :
- personnages (post-it bleu)
- lieux (post-it vert)
- période historique, quand il y a différentes époques...
- des éléments spécifiques sur le narrateur (post it rose)
- ce que ce texte a provoqué en moi (y compris énervement, ennui …)
Pour un essai, je demande généralement aux élèves de noter :
- les mots non compris
- les idées importantes (en distinguant idées et exemples)
- leurs avis et réactions personnelles
Il y a donc un temps de lecture silencieuse et individuelle : ils peuvent souligner les pages, les annoter, se poser des questions, remplir les marges ou prendre des notes à côté.
Quatrième temps
Le dévidoir, une étape rapide, mais essentielle, lors de laquelle chacun peut s’exprimer sur sa perception de la méthode, sa lecture… C’est un "tour de table" qui permet de s'exprimer sur ce qu’on vient de pratiquer. Cette pratique suscite beaucoup d'interrogations, c'est souvent le moment où elles sont dites.
Cinquième temps
Restitution en grand groupe des informations lues et coconstruction du sens global du texte. Positionnement des post-it sur un ou des tableaux. Le rôle de l’animateur (toujours un ou une professeure dans mon expérience) prend tout son sens à ce moment-là : en ayant déjà lu le livre, il organise les idées, met en relation les éléments, guide la restitution et encourage la réflexion collective. Je dois personnellement faire attention à ne pas trop parler à ce moment-là, et à seulement compléter leurs analyses et intuitions.
C’est un temps qui peut être très dialogué, ce qui selon moi en fait tout l’intérêt. Quand on leur en laisse le choix, les élèves veulent toujours procéder dans l’ordre de lecture classique, mais il peut être plus intéressant de commencer par le milieu ou la fin et de laisser ensuite les participants se répondre.
L'arpentage est donc une pratique transposable en établissement, mais qui demande du temps (plusieurs séances ou une séance de 3h) et ne remplace évidemment pas la lecture cursive d'une œuvre. Elle permet néanmoins une approche collective d'une œuvre et, il me semble, encourage plus que l'inverse les élèves à tenter une lecture intégrale.
[Article proposé par Anahi Moreau, Lycée polyvalent La Découverte de Decazeville]