Lire une œuvre patrimoniale : vers une lecture autonome

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Ce projet a été proposé par Alexia Motycka, professeure de français au collège Jean-Jacques Rousseau de Labastide-Saint-Pierre (82), sélectionné et publié dans le cadre des Travaux académiques mutualisés (TraAm) 2017-2018, dont le thème était : Littérature, corpus, interprétation : qu’est-ce qu’un texte pour la classe aujourd’hui ?

La mise en œuvre des nouveaux programmes de collège permet de poser les questions de la place de la littérature dans le cours de français, de la construction d'un rapport personnel de l'élève aux œuvres et aux textes et, par conséquent, celle du renouvellement des pratiques d'interprétation, qui sont centrales dans notre discipline. Leur réorientation, aujourd’hui nécessaire et urgente, et dont l’enjeu est de revivifier l’enseignement des lettres, passe par une réflexion sur la constitution des corpus, mais aussi sur le rapport aux contextes et sur les gestes interprétatifs eux-mêmes. Les nouveaux outils développés dans le cadre des humanités numériques et les nouvelles pédagogies, notamment liées au numérique auront toute leur place dans cette réflexion, sans exclusive.

Présentation et objectifs du projet

Le projet est réalisé en classe de 3e dans le cadre d’une séquence autour du questionnement Se chercher, se construire - Se raconter, se représenter en lien avec l’analyse de l’œuvre intégrale Vipère au poing d’Hervé Bazin. Dans un premier temps, il s’agit pour les élèves de choisir les textes qui constitueront le corpus d’étude de la séquence et de justifier ce choix au terme d’un travail accompagné par le professeur.

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Dans un second temps et à la fin de la séquence, des binômes d’élèves présentent à l’oral un des extraits étudiés en classe en cherchant à témoigner d’une appropriation personnelle de cette œuvre : le choix du passage retenu est justifié, une lecture expressive rend compte de la compréhension et de l’interprétation de l’élève et des supports peuvent accompagner son explicitation (réécritures, transpositions, illustrations visuelles ou sonores). Cette production finale permet à l’élève de mettre en évidence le regard personnel qu’il porte sur le livre lu et d’en partager l’interprétation avec d’autres lecteurs.

Organisation

 

Ce projet est mené dans deux classes de 3e composées de 30 élèves chacune. Les activités sont réalisées en grande partie en classe entière. Deux séances sont réalisées en demi-classe : un groupe travaille autour des choix de supports pour illustrer la compréhension de texte avec Mme Motycka, professeur de français, pendant que l’autre groupe mène une activité visant à travailler la lecture expressive avec Mme Lacoste, professeur documentaliste de l’établissement.
La séquence couvre une période d’un mois et demi comprenant deux semaines de vacances scolaires mises à profit pour compléter un formulaire en ligne reprenant les éléments travaillés en classe (mi-octobre à fin novembre).

Description du projet étape par étape

 
 

En amont du projet

Lecture de l’œuvre intégrale.

Mise à disposition d’une version audio de l’œuvre.

Semaine 1

Evaluation de lecture visant à faire ressortir une approche personnelle de l’œuvre centrée sur les impressions liées au narrateur-personnage Jean Rézeau et à sa mère.

 

Relecture de l’œuvre à partir d’un résumé chapitre par chapitre : activité individuelle menée en classe autour des impressions et des souvenirs de lecture.

 

Consigne :

Pour chaque chapitre, indique sur le côté ce à quoi le passage te fait penser :
- soit un mot, une réaction, une impression sur les attitudes des personnages, un titre possible,
- soit un autre passage du texte, un autre texte que tu as lu,
- soit un tableau ou une musique qui pourraient accompagner ce chapitre.
 

Emergence à l’oral de premiers liens entre certains chapitres ou certaines attitudes des personnages.

Présentation du formulaire en ligne à compléter pour la mise en commun de ces impressions de lecture et indication par chaque élève du passage du livre qui l’a marqué et justification de ce choix.

Correction de l’évaluation de lecture : mise en relief des différents regards portés sur les personnages et sur leurs actions selon les élèves.

Semaines 2 et 3

Vacances de Toussaint

Semaine 4

Activité de groupe : support construit à partir des réponses au formulaire en ligne complété durant les vacances, échanges autour des impressions de lecture initiales (formulaire).

Identification des chapitres considérés comme des temps forts par les élèves.

Choix de la thématique et des extraits étudiés pour accompagner l’analyse de l’œuvre intégrale.

Semaine 5

Lectures littéraires des textes retenus : activités collectives, individuelles ou en binômes pour favoriser les échanges autour des textes ainsi qu’une appropriation individuelle des extraits.

Séances en demi-classe :

- accompagnement des binômes d’élèves pour présenter oralement le texte choisi

- activité autour de la lecture expressive (séance menée au CDI)

 

Vers une problématique de séquence (formulations élaborées par les élèves)  :

 
  • Temps 1 : identification de thématiques traversant l’oeuvre
    • L’évolution des sentiments et de la personnalité de Jean, évolution du narrateur
    • Variétés des sentiments des enfants vis-à-vis de la mère,  ambiguïté du positionnement du père
    • Les objets :  fouet, fourchette, cahier, bonbon à la menthe, poison, argent, portefeuille, costume partagé, clés,  provisions…
    • L'éducation (père, mère, grand-mère, les abbés...),  les principes éducatifs, les punitions, les devoirs, la violence de la mère pour éduquer ses enfants
    • Les rencontres de Jean (ses parents, Madeleine…)

 

  • ​Temps 2 : identification de questionnements littéraires
    • Pourquoi écrire sur soi ?
    • Pourquoi et comment parler de son enfance ?
    • Un écrivain s’inspire-t-il de sa vie pour écrire ?
    • Est-il plus facile de parler de soi en racontant sa vie ou celle d’un personnage ?
    • Faut-il écrire sur son enfance si elle a été difficile ?

 

  • Temps 3 : formulation collective de problématiques
    • En quoi l’écriture d’un roman autobiographique peut-elle permettre de mettre à distance les douleurs de l’enfance et d’en proposer une nouvelle interprétation ?
    • Comment la lecture d’un roman autobiographique nous invite-t-elle à parcourir autrement notre propre enfance ?

 

Semaine 6

Finalisation des présentations orales

Evaluation

Bilan

La majorité des élèves a adhéré au dispositif et cette approche a permis à l’ensemble des élèves de maîtriser au moins un passage de l’œuvre, ce qui n’aurait pas été le cas lors d’une activité menée en cours dialogué par exemple. De plus, les élèves ont exploité des compétences peu sollicitées en cours de français comme leurs compétences artistiques ou manuelles. Ces dernières ont permis aux élèves de mieux interpréter le texte ou de rendre compte d’une façon plus personnelle de leur compréhension du texte choisi. Au fur et à mesure des séances, les élèves ont gagné en autonomie dans l’organisation de leur travail, dans la prise d’initiatives et de responsabilités. L’acquisition de la maîtrise d’outils numériques s’est faite tout naturellement selon les besoins de chacun : le diaporama collaboratif a été une solution majoritairement retenue pour faciliter le travail de groupe en dehors des temps de classe.

Le principal progrès a résidé dans la prise de conscience pour chacun des élèves de leur capacité à avoir une approche personnelle de l’œuvre : les passages retenus ont différé selon les binômes et chacun a pu expliquer ce qui dans l’extrait choisi lui semblait important ou marquant du point de vue des lecteurs qu’ils sont. Par ailleurs, la dernière question des sujets de type Brevet porte souvent sur une réinterprétation du texte par le biais d’autres médias artistiques (adaptation cinématographique par exemple). L’activité proposée comme évaluation de fin de séquence a permis aux élèves de traiter concrètement ce genre de question en cherchant par eux-mêmes des modalités différentes d’approche de l’œuvre.

Un autre élément essentiel constituant une évolution positive dans l’enseignement de la discipline réside dans la variété des supports d’appropriation personnelle de l’œuvre :

  • réécriture contemporaine
  • écriture dans les blancs du texte
  • changement de point de vue : narration, écriture d’une lettre de Jean adressée à sa mère, d’une page du journal intime de Mme Rézeau,
  • proposition d’adaptation théâtrale, cinématographique,  interview d’un personnage,
  • traitement d’un épisode sous forme de fait divers
  • rédaction d’un poème
  • réalisation d’une aquarelle
  • composition d’un accompagnement musical à la guitare
  • réalisation d’une maquette
  • réalisation d’une carte mentale pour mieux comprendre un épisode
  • réinterprétation d’un passage avec changement de registre (fantastique)
  • rédaction de fiches d’aide à la compréhension (ex : vocabulaire)
  • réalisation d’une frise chronologique de la relation mère-fils
  • montage vidéo (point de vue d’une plante verte lors de la pistolétade)

Enfin, les compétences orales ont également été mises au service de l’interprétation du texte grâce à deux activités : la lecture expressive et la présentation orale du compte rendu de lecture.

Littérature, corpus, interprétation : qu’est-ce qu’un texte pour la classe aujourd’hui ?

Si la démarche consistant à construire le corpus avec les élèves est plutôt à conseiller à partir de la troisième, nous remarquons que de façon générale, inverser la façon de procéder en posant directement aux élèves la question du corpus et de son choix est un moyen intéressant pour renouveler l’approche de textes souvent étudiés. Ainsi, c’est une manière de revivifier la lecture d’œuvres patrimoniales que les enseignants ont l’habitude d’étudier en classe. Échanger avec les élèves autour du choix des textes qui feront l’objet d’une analyse met au cœur de l’enseignement la question de l’appropriation personnelle de l’œuvre : il s’agit d’identifier ce qui marque les lecteurs que sont les élèves mais aussi de témoigner en tant qu’enseignant de ce qui nous touche ou nous parle dans les textes que nous partageons avec eux. Croiser les regards sur les textes et discuter des effets qu’ils suscitent dans la perspective de constituer un corpus d’analyse est une manière d’accompagner la construction d’une forme d’autonomie dans la lecture en partageant avec les élèves les stratégies qui permettent de forger ses goûts de lecteur.

 

Perspectives

Ce type de dispositif met en lumière les écarts qui existent dans l’acquisition de compétences en lecture selon les élèves. En effet, il est rare que la lecture intégrale d’une œuvre soit réalisée par toute une classe. La reprise des éléments essentiels du texte et de sa structure à partir d’un résumé détaillé est une modalité incitant les élèves les plus en difficultés à revenir au texte.

Cette approche plus fragmentaire permet aux ceux qui ne s’engagent pas dans la lecture complète d’une œuvre d’en saisir néanmoins l’organisation. Les travaux de groupe et les temps de lecture et d’analyse en classe donnent aux élèves la possibilité d’échanger autour de leurs pratiques de lecteurs. Le travail sur le texte a été favorisé par l’utilisation de feuilles au format A3 sur lesquelles les élèves ont collé les extraits choisis (avec ou sans découpe du texte d’origine).

 


Le dispositif est transférable à l’ensemble des œuvres intégrales étudiées au collège ou au lycée, notamment en classe de Première puisque cette approche fait directement écho à la question du corpus proposée aux épreuves anticipées de Français. Cette approche peut aussi être réinvestie dans le cadre d’études d’autres genres littéraires.

 

Quelques réalisations d’élèves 

Exemples de supports réalisés par les élèves pour accompagner la présentation orale (ces supports rendent compte d’une approche plus personnelle de l’extrait choisi et ont été réalisés selon un axe de lecture déterminé par chaque binôme).

Mettre en lumière la haine du personnage principal en proposant une réécriture méliorative des pensées de Jean (Chap. 9, La Pistolétade) 

Mais ton joli regard est entré dans le mien et ton jeu est entré dans mon jeu. Toujours en silence, toujours infiniment correct comme il convient, je te provoque avec une grande satisfaction. Je te cause, Folcoche, m’entends-tu ? Oui, tu m’entends.

 

Alors je vais te dire : « T’es magnifique ! Tu as les cheveux doux comme la soie, le menton bien foutu, les oreilles d'une forme parfaite. T’es magnifique, maman. Et si tu savais comme je t’aime! Je te le dis avec toute ma sincérité, moi, je t’aime. Je pourrais te dire que je te hais, mais ça serait totalement faux. Moi, je ne baisserai pas les yeux.

Faire ressortir les traits de caractère de chacun des personnages en proposant une représentation animale de chacun (Chap 16, épisode de la noyade, aquarelle)


  • Jean et Freddie : deux renardeaux, toujours prêts à ruser pour défier leur mère
  • Marcel : un chat qui retombe toujours sur ses pattes selon la situation
  • Folcoche : contraction de “folle et de cochonne”. 
  • Une langue de vipère rappelle les allusions faites dans  l'incipit et dans l’excipit.Une figure diabolique est représentée dans la barque : il s’agit d’une des tentatives de matricide 

Autres propositions

  • réécriture contemporaine d’un extrait (travail sur le vocabulaire et les références qui peuvent faire sens pour un lecteur aujourd’hui)
  • écriture dans les blancs du texte
  • changement de point de vue : narration du point de vue de Folcoche (la noyade), écriture d’une lettre de Jean adressée à sa mère, d’une page du journal intime de Mme Rézeau, 

  • proposition d’adaptation théâtrale, cinématographique, interview d’un personnage
  • traitement d’un épisode sous forme de fait divers
  • rédaction d’un pœme
  • réalisation d’une aquarelle
  • composition d’un accompagnement musical à la guitare
  • réalisation d’une maquette
  • réalisation d’une carte mentale pour mieux comprendre un épisode
  • réinterprétation d’un passage avec changement de registre (fantastique)
  • rédaction de fiches d’aide à la compréhension (ex : vocabulaire)
  • réalisation d’une frise chronologique de la relation mère-fils
  • montage vidéo (point de vue d’une plante verte lors de la pistolétade)
  • réalisation d’une planche de bande dessinée et réécriture méliorative d’un passage

 

Ce projet s’ancre dans une réflexion plus large autour de la question du corpus : accéder au diaporama des projets présentés au PNF (Paris, mai 2018)