Le génocide des Tutsi au Rwanda : histoire, mémoire et justice

Le 7 avril est désormais officiellement commémoré en France l’anniversaire du génocide des Tutsi au Rwanda de 1994.

Cette date correspond au lendemain de l’attentat perpétré contre l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana au-dessus de la capitale rwandaise Kigali survenu le 6 avril. Cet événement fit basculer le Rwanda dans le génocide qui toucha l’ensemble du pays d’avril à juillet 1994, à l’instigation du clan présidentiel proche des extrémistes hutus et du gouvernement intérimaire (F. Piton).

Ce génocide fit au total environ 800 000 victimes, majoritairement des Tutsi mais aussi des Hutu modérés.

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Kigali

En 1994, le Rwanda, petits pays dit des « milles collines » d’Afrique centrale, indépendant depuis 1962, est en proie à une guerre entre le pouvoir en place (francophone et francophile), composé très majoritairement de Hutu) et le Front patriotique rwandais (FPR), composé majoritairement de Tutsi exilés. Ces derniers ont lancé depuis les pays limitrophes du Rwanda une offensive militaire en 1990 pour pouvoir revenir au Rwanda et mettre à bas un régime corrompu et hostile à la minorité tutsie.

Les autorités défaites sont contraintes à signer les accords d’Arusha (Tanzanie) non sans avoir du acter l’ouverture démocratique du pays. En parallèle, les Tutsis et hutus modérés rwandais sont pointés du doigt par les plus extrémistes (tenant du Hutu Power) comme responsables de la guerre et de la crise économique que connait le pays depuis les années 1980.

 

Les Tutsi, minoritaires, sont victimes depuis l’indépendance de 1962 de massacres et pogroms de la part des Hutu majoritaires, sur lesquels l’ex-pouvoir colonial a fondé l’indépendance du pays.

La division de la population rwandaise en trois « ethnies » (Hutu, Tutsi, Twa) hiérarchisées est un héritage de la colonisation (M. Kabanda, J.-P. Chrétien), intégré et récupéré par le clan Habyarimana et le parti des extrémistes hutus pour conserver le pouvoir.

Entre 1990 et 1994, ces derniers élaborent un véritable projet génocidaire contre la population tutsie qui conduit au massacre en trois mois (avril, mai et juin 1994) de 800 000 personnes (hommes, femmes, enfants), soit 75% de cette population par les forces militaires régulières, soutenues par des milliers de civils dont les milices interahamwe.

L’intervention internationale et française (opération militaire et humanitaire Turquoise en juin) n’aura que peu de poids sur le génocide. Il faut attendre la reprise du pays et de Kigali par les troupes du FPR de Paul Kagame (aujourd’hui chef du gouvernement rwandais) pour voir stopper les massacres au Rwanda. Combats et exactions se poursuivront pendant plusieurs années au Congo voisin (camps de réfugiés hutus) et dans une région des grands lacs déstabilisée.

 

En parallèle de la mise en place d’une politique officielle de mémoire qui s’amplifie à partir de 2004, « c’est sur le terrain judiciaire que se formalise la politique du pardon, qui n’implique ni oubli, ni impunité, mais est au contraire conditionné à l’aveu, public et médiatisé, du bourreau vis-à-vis de sa victime » (F. Piton). La mise en place des traditionnelles juridictions gacaca (tribunaux communautaires) permettent sur ce principe dans les années 2000 tout à la fois de traduire en justice, condamner et vider des prisons surpeuplées. Non sans susciter des questions chez les survivants (aveux imparfaits, remords fallacieux – voir J. Hatzfeld). Les centaines de procès qui se déroulent partout dans le pays, en donnant la parole aux témoins rescapés et aux auteurs des massacres, permettent d’éclairer le processus génocidaire au plus près des communautés de voisins (H. Dumas). Pour l’Etat, la société rwandaise a pu ainsi être pacifiée par la réconciliation, sur le modèle sud-africain de l’après-apartheid. Les commémorations annuelles alliées à un processus judiciaire à plusieurs niveaux, inscrit la société rwandaise dans une dynamique de résilience, malgré les difficultés et les questions encore posées par les rescapés (le pardon est-il possible ? – B. Guillou).

 

 

 

Chaque année, des cérémonies d’ampleur se déroulent le 7 avril au Rwanda qui a mis en place des outils mémoriels (inhumation en dignité des victimes, monuments commémoratifs, lieux de mémoire sur les anciens sites de massacres), mais également dans de nombreux pays qui accueillent des rescapés. Comme le souligne l’historien Sébastien Ledoux, « La reconnaissance des expériences traumatiques de collectivités structurent en grandes partie [les] nouveaux rituels commémoratifs qui ont eux-mêmes symboliquement valeur de réparation envers les victimes. » Plusieurs associations de victimes, comme Ibuka, œuvrent à un travail de justice et de mémoire plus de vingt-cinq ans après le génocide.

 

Cependant, la mémoire du génocide, portée par les autorités et la société rwandaise et notamment les survivants se heurtent :

  • à l’euphémisation de l’événement pourtant rapidement qualifié de génocide (entrant dans la catégorie juridique de crime contre l’humanité – ONU 1948, voir les conclusions du rapport Duclert - 2021) ;
  • au négationnisme des anciens bourreaux dont certains ont été jugés et condamnés par le Tribunal international pour le Rwanda (TPRI), les juridictions locales (gacaca jusqu’en 2012) ou des juridictions étrangères (Belgique, France) ;
  • à la résurgence de « l’idéologie génocidaire » et la violence encore présente dans les collines entre anciens voisins hutus et tutsis (qualificatifs ethniques supprimés au Rwanda au lendemain du génocide) (F. Piton).

 

Travailler sur le génocide des Tutsi au Rwanda, s’inscrit dans le cadre des missions de l’École :

  • comprendre les notions de « crime contre l’humanité », « génocide », « justice internationale » ;
  • construire une réflexion sur les stéréotypes et les discriminations qui peuvent mener aux meurtres de masse ;
  • comprendre la question de la construction mémorielle : travail de mémoire nécessaire effectué par les victimes et prise en charge par les politiques mémorielles des Etats ;
  • comprendre la notion de justice, nationale et internationale, en lien avec l’élaboration de la mémoire et l’écriture de l’histoire.

 

Dans les programmes scolaires :

L’événement est entré désormais dans les programmes scolaires et peut être abordé dans les programmes d’histoire ou de français (récits comme les témoignages, nouvelles ou romans).

Il peut être également l’occasion de projets pluridisciplinaires, utiles pour la réception par les élèves d’un événement vif et traumatique. Si l’accueil en classe d’un témoin rescapé est envisageable, à l’image des témoins de la Shoah, il doit se penser dans une réflexion pédagogique mûrie en direction d’élèves préparés à recevoir la parole d’une victime de violences polytraumatisantes.

En cours disciplinaire, mener un projet associant plusieurs professeurs dont le professeur documentaliste et dans le cadre d’EPI, du parcours citoyen des élèves, mobilisant les attentes de l’enseignement moral et civique (EMC). Il peut mobiliser plusieurs disciplines, les professeurs documentalistes, de français, d’arts plastiques autour du parcours d’enseignement artistique et culturel (PEAC). Arts et littérature permettent d’approcher l’événement et d’engager les élèves dans la production de supports pédagogiques à partir des réflexions et travaux réalisés.

► Proposition de séquences pédagogiques adaptées aux cadres de l’enseignement de spécialité
d'histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques de classe de terminale : à télécharger

 

 

Mise au point historiographique

  • Une synthèse très complète et abordable :
    • Florent Piton, Le génocide des Tutsi au Rwanda, Paris, La Découverte, 2018. Dans une approche chronologique efficace, l’auteur apporte des éléments de compréhension du génocide à la fois sur le temps long de l’histoire coloniale du Rwanda et sur le temps plus court de la guerre de 1990 à 1994. Un chapitre s’intéresse à la justice et à la mise en mémoire de l’événement par les autorités et les rescapés.
  • Sciences Po propose une chronologie fouillée du XIXe siècle au génocide https://www.sciencespo.fr/mass-violence-war-massacre-resistance/fr/document/chronologie-du-rwanda-1867-1994.html
  • Sur l’histoire de la distinction entre Tutsi et Hutu, et sa manipulation :
    • Marcel Kabanda, Jean-Pierre Chrétien, Rwanda, racisme et génocide. L’idéologie hamitique, Paris, Belin, 2013.
  • Sur les juridictions gacaca :
    • Hélène Dumas, « Histoire, justice et réconciliation : les juridictions gacaca au Rwanda » https://www.cairn.info/revue-mouvements-2008-1-page-110.htm
    • Hélène Dumas, « Après le génocide : les gacaca » dans Une histoire de la guerre du XIXe siècle à nos jours, Bruno Cabanes (dir.), Seuil, 2018, p. 742-745.
    • Hélène Dumas, Le génocide au village. Le massacre des Tutsi au Rwanda, Paris, Seuil, 2014. Le ressort du « génocide des voisins » est expliqué ici de manière très didactique.
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    génocide

     

  • Sur l’idée de pardon :
    • Benoit Guillou, Le pardon est-il durable ? Une enquête au Rwanda, Paris, François Bourrin, 2014.
  • Sur la comparaison des génocides :
    • Yves Ternon, « Comparer les génocides », dans revue d’histoire de la Shoah, n°190, janvier-juin 2009.


Ressources documentaires et témoignages

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une saison de machette
  • « La justice peut-elle seulement offrir réparation face à des actes aussi irrémédiables que l'esclavage, la colonisation, la Shoah, ou toute mort injuste ? », émission proposée par France Culture https://www.franceculture.fr/emissions/esprit-de-justice/comment-reparer-lirreparable
     
  • L’œuvre du journaliste écrivain Jean Hatzfeld semble aujourd’hui incontournable sur la question du recueil de témoignages des victimes comme des bourreaux, en particulier :
    • Dans le nu de la vie. Récits des marais rwandais, Paris, Seuil, 2000.
    • Une saison de machettes, paris, Seuil, 2003

 

 

  • Plusieurs films documentaires parmi de nombreuses références :

     

    • BA, M. et FREY, J., 7 jours à Kigali. La semaine où le Rwanda a basculé, France, 2014
    • GLUCKSMANN, Raphaël, HAZAN, David et MEZERETTE, Pierre, Tuez-les tous ! Rwanda, histoire d’un génocide sans importance. France, 2004.
    • KLOTZ, Jean-Christophe, Kigali, des images contre un massacre, France, 2006
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Rwanda Plantu

 

 

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La fantaisie de dieux

 

  • Des romans peuvent aussi être accessibles aux lycéens :
    • Rwanda 1994 de Cécile Grenier, Pat Masioni, Paris, Albin Michel, 2 vol., 2009
    • Deogratias de Jean-Philippe Stassen, Paris, Dupuis, 2000
    • La Fantaisie des Dieux de Patrick de Saint-Exupéry et Hippolyte, paris, Les Arènes, 2014

 

 

Ressources pédagogiques

 

Partenaires à contacter

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    Ibuka
    • Association IBUKA (en français « Souviens- toi, Mémoire et Justice») : Association de rescapés du génocide des Tutsi au Rwanda, Ibuka-France travaille depuis 2002 à promouvoir la mémoire du génocide notamment à l’Ecole et au soutien aux rescapés. Elle œuvre également à poursuivre et traduire devant la justice ses responsables.
      Elle propose des ressources pédagogiques et des interventions dans les établissements scolaires.
      https://www.ibuka-france.org/memoire-et-education-bis-2/
  • Mémorial de la Shoah : Centre d’archives, musée, le Mémorial est aujourd’hui un lieu de médiation essentiel pour la transmission de la Shoah et des trois autres génocides du XXe siècle (génocide des Herero et Nama, génocide des Arméniens, génocide des Tutsi au Rwanda) qu’il aborde à travers ses expositions et activités l’histoire http://www.memorialdelashoah.org/archives-et-documentation/genocides-xx-siecle.html