Gutaï, l’espace et le temps
Une exposition au musée Soulages, Rodez
6 juillet - 4 novembre 2018
Le temps en tant que tel ne participe jamais à l’espace même de la peinture.
La démarche passionnée du groupe Gutaï fait appel au caractère concret de l’espace et du temps
pour exprimer la totalité de l’émotion esthétique.
On abandonne le cadre. On quitte le mur.
On passe d’une conception du temps immobile à celle du temps vivant.
Murakami Saburo, Sur l’art Gutaï, juillet 1957
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Le musée de la préfecture du Hyogo, situé à Kobe, a proposé il y a deux années une collaboration au musée Soulages, Rodez. Celle-ci se concrétise en été 2018 par le prêt d’un ensemble de vingt peintures de premier ordre du groupe Gutaï.
Ce musée dispose d’un des plus grands fonds de peinture Gutaï au Japon, avec le musée national à Tokyo. La préfecture du Hyogo est jumelée avec le département de l’Aveyron. Aussi, suite à une rencontre en été 2015 au conseil départemental et au musée Soulages, nous avons convenu, avec notre collègue Yutaka Mino, directeur général du musée de Kobe, d’imaginer un échange, d’abord en été 2018, la rétrospective Gutai à Rodez, puis une rétrospective Soulages à Kobe (voire, à suivre, à Tokyo) en 2019. 2019 est en effet l’année du centenaire de Pierre Soulages, né le 24 décembre 1919. Une politique d’échange artistique qui coïncide avec la vocation du musée Soulages qui a présenté des grands noms modernes tels que Picasso, Soto, Calder, Le Corbusier…
Gutai (1954-1972) : le nom vient de gu, instrument, et de tai, corps, son adverbe
gutaieteki « concret » ou « incarnation » qui s’oppose donc à l’abstrait, c'est-à-dire à
l’art abstrait de l’après-guerre, celles notamment à Paris dans les années cinquante
On peut orthographier Gutai ou Gutaï. Les plasticiens de ce mouvement qui
aiment le plein air, ont une dilection toute particulière pour l’espace scénique, à dire
vrai pour le théâtre et la scénographie. Pour autant les artistes nord-américains,
comme Jackson Pollock, ont regardé attentivement les productions du mouvement
Gutaï . Yves Klein a participé avec son père Fred Klein et avec sa mère Marie
Raymond à une exposition commune à Tokyo. Klein y séjourna de 1952 à 1954 et
s’innerva des avant-gardes japonaises. Michel Tapié de Céleyran, critique d’art et
écrivain originaire de l’Aveyron (château du Bosc), petit neveu de Toulouse-
Lautrec, a considérablement oeuvré pour faire connaître Gutaï en France et en
Europe… Il rencontre le groupe en 1958 et le raconte dans ses livres dont l’Art
Autre, un manifeste passionné pour ses goûts artistiques. l’exposition de Rodez lui
est dédiée en attendant une grande rétrospective Tapié au musée Soulages (2020)
Jiro Yoshihara (1905-1972) est considéré par tous comme le fondateur et le
théoricien de Gutaï : « Je suis un maître qui n’a rien à vous apprendre, mais je vais
créer un climat optimum pour la création ». Yoshihara sera le héraut de cinquante
ans, un aîné, le peintre reconnu et respecté, entraînant derrière lui des artistes plus
jeunes, de 25 à 30 ans. Gutaï est un mouvement radical et juvénile, dans l’action
notamment, proche des milieux du théâtre et du Nô, mais aussi du milieu culturel
japonais en ébullition. On est dans le direct après-guerre, avec toutes les
souffrances inhérentes aux catastrophes d’Hiroshima et de Nagazaki.
« Que l’on s’exprime au moyen de signes écrits ou de la peinture revient au même,
ça ne change rien au fond … Ce que j’ai réalisé, d’un seul coup quand j’ai eu ces
oeuvres sous les yeux » ajoute Yoshihara. Le temps se confond à l’espace sur un
mode immédiat, actif et spectaculaire (devant un public) parfois sur le mode de la
performance dont l’oeuvre est le souvenir vivant.
Pour Gutaï le matériau revêt une importance fondamentale. Quelques grands noms
du mouvement en témoignent : Saburo traverse avec son corps des tableaux
dressés verticalement ; Shiraga compose un tableau en se roulant dans la boue ;
Kanayama réalise un long parcours/phylactère en enchaînant des traces de pieds…
Le rôle du corps de l’artiste et la gestualité, avec le passage de la peinture
notamment, est redécouvert par le mouvement GuGutaï tai. Il s’inscrit dans un contexte
de virulence, de la peinture :Motonaga par exemple et ses explosions de couleurs…
Qaund bien même il est éphémère, cet art laisse des traces par des toiles, des objets,
des tirages photographiques ou des films. La grande liberté de Gutaï contraste avec
la chape de plomb qui pèse alors sur le Japon après la guerre, après les drames
nucléaires et avec la dictature militaire en cours. Gutaï est clairement engagé, hors
normes, uni. Il aura une reconnaissance mondiale.
En général les œuvres sont de grand format : entailler, déchirer, mettre en pièces,
brûler, lacérer, peindre… tels sont des mots d’ordre. On continue donc à peindre,
mais si on utilise en toute liberté des matériaux naturels, des eaux teintées, du kraft,
de la pierre, etc. Première exposition en 1955 au Centre Ohara : Exposition d’art
moderne en plein air : défi au soleil de mi-été.
Parmi les 20 œuvres proposées par le musée de Kobe, figurent des artistes majeurs
de Gutaï : pour le geste Yoshihara, pour la lacération Shiraga, pour les écrans
Murakami… mais aussi Motonaga, Yamazaki, Tanaka… Toutes ces œuvres, des
pièces majeures du mouvement, sont des peintures de grandes dimensions, huiles
ou acryliques sur toile, sur carton ou vinyle, des techniques mixtes flirtant avec la
sculpture. La majorité d’entre elles relève de la période historique de Gutaï , années
50 et 60, beaucoup n’ayant jamais été présentées en Europe. C’est un sacrifice et
un honneur pour le directeur de Kobe Yutaka Mino de nous les confier en été
2018. L’exposition présentera de grandes oeuvres comme des écrans dans la salle
d’exposition théâtralisée et mettant en valeur élévation et volume ; elle sera
complétée par un ensemble très significatif de films, de photographies d’époque, de
livres rares. Les films documentent les actions (performances avant la lettre) des
artistes les plus célèbres de Gutaï . Le musée des Abattoirs de Toulouse est
également mis à contribution avec des prêts d’artistes majeurs du mouvement
Gutai provenant de la collection Anthony Denney. Ainsi que le musée Cantini de
Marseille et le Centre Pompidou. Nous sollicitons d’autres collectionneurs et une
fondation belge pour d’autres oeuvres de Gutaï , notamment sur papier : au total un
ensemble de 40-45 pièces. Une scénographie transparente sera mise en place
faisant « flotter » les oeuvres dans l’espace et laissant cheminer le visiteur entre les
cloisons et les oeuvres.
A la mort de Yoshihira en 1972, les autres artistes vont se disperser pour poursuivre, chacun de son côté un oeuvre personnel. Cette exposition ne se peut qu’avec une médiation appropriée, approfondie et tout public, comme une invite à découvrir la civilisation et la culture japonaises. Elle fait suite à deux événements majeurs Le Japon des avant-gardes 1910-1970, au Centre Pompidou en 1987 et Gutaï à la Galerie nationale du Jeu de Paume en 1999. Elle est attendue et nous lui conférons la saveur particulière d’un Playground (comme un terrain de jeux), toutes proportions gardées.
Texte : Musée Soulages
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