Nos collègues lisent… Métisse blanche, de Kim Lefèvre

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Kim Lefèvre, Métisse blanche, Paris, Phébus, collection "libretto", 2008, 514 pages.

 

La découverte de ce livre part d'une expérience personnelle : je sais que mon grand-père, mort en 2011, a été basé pendant quatre ans en Indochine de 1950 à 1954, et je sais aussi qu'à cette époque, l'armée encourageait ses soldats à fréquenter une "petite fiancée" vietnamienne pour éviter les prostituées par souci d'hygiène et de prophylaxie. Mon grand-père n'a jamais voulu clairement évoquer la question mais nous, sa famille, savons qu'il a eu lui-aussi sa "petite fiancée" et a peut-être laissé des enfants dans ce lointain pays. Or le livre de Kim Lefèvre, Métisse blanche, raconte l'histoire de son auteure, une enfant née au Vietnam d'un père français et d'une mère Tonkinoise.

Dans la société traditionnaliste et misogyne vietnamienne, cette petite fille grandit en subissant différentes errances. Sa mère l'abandonne à un orphelinat catholique et la récupère plus tard. La petite fille endure les remarques racistes : les Vietnamiens, surtout son beau-père, voient en elle de la graine de traîtresse car elle porte sur son visage la marque d'une double appartenance, européenne et asiatique ; plus tard les hommes la trouvent désirables pour son aspect exotique ; les Français voient, eux, les Vietnamiens, dans leurs traditions et leur manière d'être, comme des hypocrites. La jeune fille qu'elle devient va assimiler, dans différentes écoles, la langue et la littérature françaises à un point tel qu'elle en deviendra plus tard sa langue d'écriture : car oui ce texte est une autobiographie, d'une auteure francophone, qui a émigré en France à 25 ans, en 1960, après avoir réussi son bac et ses études de propédeutique à Saïgon et qui a fini par mieux s'exprimer en français que dans sa langue maternelle.

Le livre retrace cette enfance ballotée, entre deux cultures, entre deux pays, entre différents lieux de vie et d'apprentissage, jusqu'au départ final pour la France et à la rupture avec sa famille. Mais l'éditeur, Phébus, ne s'est pas contenté d'éditer cet opus : il a joint dans la même édition la seconde partie de cette autobiographie, Retour à la saison des pluies. En 1990, Kim Lefèvre a acquis une certaine célébrité à Paris, surtout dans la communauté asiatique, parce que son premier livre a fait du bruit et qu'elle a été plusieurs fois invitée par Bernard Pivot à l'émission "Apostrophes". D'anciennes connaissances la reconnaissent et lui permettent de renouer par lettre avec sa famille : sa mère et ses sœurs. Elle qui pensait avoir définitivement coupé les ponts, décide de revenir, trente ans après son départ, auprès des siens pour renouer les fils quasi rompus par le temps. Cet opus émouvant nous donne des nouvelles des anciens personnages croisés dans Métisse blanche et permet à l'auteur d'achever son travail autobiographique en reconstruisant le cordon familial. C'est une belle lecture : l'éditeur a eu raison de placer les livres ensemble car à la fin du premier tome on a vraiment envie de savoir ce que deviennent ces personnages, ou plutôt ces gens... Kim Lefèvre est morte cette année à 86 ans.

Cela m'émeut de me dire qu'elle avait peut-être croisée mon grand-père, alors qu'elle avait 15 ans, au détour d'une rue dans ce lointain pays. Ce livre vous touchera aussi si vous aimez les autobiographies et la découverte de nouveaux pays. En tous cas il impressionne par son beau style maîtrisé... 

Marianne

 

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