Patrick Laudet : « L’explication de texte : un exercice à revivifier »
Procéder de la singularité des textes
Ce que nous déplorons souvent dans les mauvaises pratiques, c’est le placage mécanique de questionnaires, de tableaux, ou de protocoles de lecture inappropriés ; un triste cadastrage des textes, qui procède à leur arraisonnement technique ; un professeur note par exemple au tableau, en début de cours : « séquence 4 : le biographique. Séance 3 : support (sic): Chateaubriand » ; ainsi présentée, l’explication qui va suivre n’a d’emblée plus toutes ses chances… Faisons valoir cette idée : le mode d’explication du texte procède du texte. Il y a d’ailleurs souvent dans les textes, à condition d’y être attentif, un élément qui suscite une certaine manière de les aborder. Une disposition du texte lui-même à s’offrir à telle approche critique plutôt qu’à telle autre.
Pour filer la métaphore médicale inaugurée par Novarina, à chaque texte sa pharmacopée ! Avec une préférence pour une approche plus organique, souple, capable d’épouser les lignes vives du texte plutôt qu’une approche mécaniste qui en écorche les muscles et les artères.
C’est ici qu’il faudrait retrouver la notion de genre, mais aussi la singularité des écritures. Une compréhension plus spécifiquement littérale pourra ainsi dominer dans un texte d’idées (et encore, pas tous !). Une « interprétation » de Montesquieu, au sens herméneutique du mot, pourra être vaine. Plus on s’imprègne simplement de la minutie lumineuse d’une de ses pages, plus on en savoure le sens et la clarté argumentative, sans ombres. Il n’en sera peut-être pas exactement de même avec une page de Voltaire, plus volontiers duplice, faut-il le rappeler ? Dans ce même ordre d’idée, on n’explique bien sûr pas un extrait de roman comme un poème, ni un poème comme une scène de théâtre (à quand une interprétation véritablement dramaturgique du texte théâtral !). […]
Contre la raideur des lectures plaquées, retrouver donc la souplesse d’une authentique disponibilité au texte et d’une attention à sa singularité. Les textes, on l’oublierait, ne sont pas écrits pour l’explication, mais bien l’explication au service des textes. En son temps déjà, Péguy invitait à sortir d’une époque qui « ne se servait plus des textes pour éduquer, mais qui éduquait pour expliquer les textes »
L’attention au détail, le punctum (Barthes)
Comparée à d’autres exercices de notre discipline et d’autres modes de lecture, qui développent la vue d’ensemble ou la hauteur de vue, c’est tout l’intérêt de l’explication de texte d’accorder du crédit à la vision de près des textes ; de permettre une scrutation du petit, seule capable, dans une évaluation rapprochée et attentive du jeu du signifiant, d’ouvrir pour l’interprétation des chemins de traverse, des biais nouveaux, de risquer des rapprochements parfois incongrus mais suggestifs. L’explication de texte suppose comme un credo : il faut croire à la vérité de l’imperceptible.
Stendhal serait à cet égard l’auteur emblématique, lui qui se plaît à si souvent dissimuler dans le petit détail, qui risque de passer inaperçu, l’essentiel du sens.
L’explication de texte perd son relief et sera moins incisive si elle procède trop du « balayage » des textes, sur lesquels elle glissera au risque du superficiel et de l’interchangeable. Toute explication relèvera toujours de la microlecture, ces « lectures du petit », « petites lectures […]
« punctum, c’est aussi : piqûre, petit trou, petite tache, petite coupure – et aussi coup de dés. Le punctum d’une photo, c’est ce hasard qui, en elle, me point (mais aussi me meurtrit, me poigne).»
Dans les photos mais aussi dans les textes, un détail peut donc passer, « comme un ange passe » dit Barthes. Ce petit rien (un mot, une phrase ?) fait tilt, et ouvre alors toutes les expansions imaginaires possibles64. Puissent les textes proposés aux élèves, par la richesse de leurs détails ou de leur écriture, provoquer ce « petit ébranlement » du punctum, qui interdit les explications plaquées, toutes faites.