Questions pratiques sur l'explication linéaire

Karin MORTON, professeure de Lettres au lycée Ferdinand Foch à Rodez et formatrice académique
Amélie PINÇON, professeure de Lettres au lycée Ozenne à Toulouse et formatrice académique

 

Combien de temps doit-on consacrer à une séance d’explication linéaire ?

Amélie : Bien entendu, la réponse dépend du niveau, seconde ou première, mais également du moment de l’année et des objectifs de la séance. Les séances de fin d’année sont plus efficaces car les élèves connaissent l’exercice. En général, je passe entre 2 et 3 heures par explication. J’essaye de ne jamais dépasser les 3 heures. La première heure est presque toujours consacrée à la rencontre entre les élèves et le texte. Elle permet d’assurer une bonne compréhension du texte et de ses implicites. Elle prend souvent la forme d’écrits d’appropriation ou d’autres activités et permet d’aboutir à la formulation collective d’un projet de lecture.

 

Karin : Je partage tout à fait ce que vient de dire Amélie. De toute façon, passer plus de trois heures sur un texte épuise et ennuie littéralement les élèves et nous-mêmes. Si je vois que j’ai besoin d’y revenir, je le fais à un autre moment de l’année (séance de remédiation ou fréquentation d’un autre texte qui amène à revoir le premier). C’est une bonne façon de relire un texte.

 

Combien de procédés doit-on attendre pour une explication linéaire ?

Amélie : Je n’ai aucune attente quantitative ! L’approche souhaitée serait davantage qualitative... J’insiste en classe sur le fait que chaque procédé doit permettre de déboucher sur un effet de sens. J’invite les élèves non à relever des procédés pour ensuite les analyser mais, au contraire, à proposer des pistes d’interprétation et à se demander ce que fait le texte, comment l’auteur s’y est pris pour que l’on éprouve telle émotion. En d’autres termes, je mets en évidence quelques procédés particulièrement marquants et qui font la spécificité de chacun des textes.

 

Karin : Complètement d’accord. Je leur propose d’écrire sur leur fiche de révision la mention « procédé », mais ils doivent alors n’en écrire qu’un seul (trois maximum sur cette fiche), celui qui éclaire véritablement le sens du texte et le charpente.

 

Comment le professeur peut-il aider les élèves à problématiser le texte sans leur fournir une problématique toute faite ?

Amélie : J’aime proposer une question assez ouverte qui ne porte pas sur le texte mais sur leur lecture du texte. Par exemple : « ce personnage vous semble-t-il sympathique ? » - « « C’était un grand changement dans ma vie » dit Ourika (Ourika, Madame de Duras) : comment expliquez-vous cette citation en lisant le texte ? ».

Ce pas de côté permet de partir d’une subjectivité de lecteur. La confrontation de leur compréhension du texte avec celle des autres élèves permet alors bien souvent de faire émerger un questionnement, guidé par la consigne et les objectifs littéraires du professeur, qui prendra ensuite la forme d’un projet de lecture.

Les élèves sont invités à formuler chacun « leur » propre problématique. Leur cahier recense ainsi plusieurs problématiques : la leur, celle de leurs camarades, celle qui aura suscité l’intérêt du professeur et qui aura été remaniée de manière à aboutir à la problématique qui servira de fil conducteur pour l’explication à venir. Souvent, les élèves ajoutent sur leur cahier un petit cœur devant la problématique qu’ils préfèrent. Cela permet également une pratique de différenciation. Il vaudra toujours mieux une problématique solide et comprise par l’élève même si elle est un peu simple qu’une problématique apprise par cœur et plaquée sur une explication linéaire. Bref, plutôt du « sur mesure » que du « prêt-à-porter ».

 

Karin : Pour faire suite aux propos d’Amélie, une lecture expressive permet également de proposer un projet de lecture personnel. Quand l’élève comprend que l’explication du texte qu’il propose est en regard de sa proposition de lecture, il fait un grand pas et peut personnaliser la question qu’il retient pour éclairer sa lecture du texte.

 

Pris par le temps, comment entraîner les élèves de manière efficace à la lecture expressive ?

Karin : Je varie les formats mais n’y consacre effectivement pas un temps énorme. Je leur propose par exemple en début d’année des petits exercices de lecture, sur le texte travaillé. Ils peuvent à tout moment s’enregistrer, partager en direct leur lecture, soit pendant l’heure de cours, soit avec leurs camarades à l’extérieur. L’entrée dans une explication linéaire peut justement être une proposition de lecture intéressante, parce que l’élève s’y est entraîné ou parce qu’il sent quelque chose du texte à quoi il donne voix.

 

Comment le professeur peut-il préparer son explication linéaire ? Quelle feuille de route ?

Karin : C’est compliqué d’établir une feuille de route puisque chaque texte amène sa propre feuille de route. Ce qui est certain, c’est que j’ai besoin de me frotter réellement au texte en amont, de me heurter à ses résistances. C’est souvent à partir de là que je vais réfléchir à un scénario avec les élèves pour leur permettre de construire leur explication.

 

Amélie : Je commence toujours par un temps d’analyse quasi universitaire du texte qui me permet de dégager les enjeux littéraires, les réflexions éthiques et esthétiques qu’il offre mais d’identifier aussi ses aspérités ou ses « résistances », comme le dit Karin. C’est à partir de ces éléments que je réfléchis à la mise en œuvre en classe et, en particulier, au dispositif didactique permettant de faire entrer les élèves dans le texte. Les activités proposées (écrit de travail, écrit d’appropriation, schémas, etc.) préparent la mise en évidence d’un projet de lecture par les élèves puis d’une explication construite par eux. Par ailleurs, je ne mène pas toujours des explications complètes en classe. Je me focalise parfois sur la problématisation, parfois sur l’identification des mouvements et parfois sur le développement d’un mouvement. J’essaye de ne pas faire toute l’explication en classe mais, comme pour le commentaire, d’apprendre aux élèves à savoir faire, seuls, une explication linéaire.

 

Quelle trace écrite l’élève doit-il avoir dans son cahier ?

Amélie : La trace écrite est plurielle. Les cahiers d’élèves rendent compte de leurs écrits de travail. Leur cahier est envisagé comme un laboratoire dans lequel ils s’entraînent. Les écrits d’appropriation, propositions de problématiques, formulation de titres des mouvements apparaissent ainsi sur le cahier. Toutes les analyses précises et relevés de procédés littéraires sont quant à eux notés directement sur le texte polycopié. Les élèves doivent « travailler » leur texte, écrire dans / sur / autour. Enfin, une synthèse est notée sur le cahier. Mouvement après mouvement, les élèves reviennent sur les effets de sens marquants. C’est le moment où je les amène à prendre de la distance par rapport au texte pour échapper à une vision trop myope ou morcelée et leur permettre de rendre compte des grands enjeux littéraires du texte et de construire, avec eux, une interprétation qui réponde pleinement et explicitement au projet de lecture.

 

Karin : Je ne sais pas ce que l’élève DOIT avoir comme trace écrite.  C’est compliqué parce qu’il voudrait du « prêt à penser », une explication type, qui par mémorisation simple lui permettrait selon lui d’obtenir un bon résultat. Or, c’est justement cette paresse intellectuelle que j’essaie de combattre. Je partage ainsi les propos d’Amélie mais n’impose pas un endroit spécifique où noter les remarques. Les synthèses sont de factures diverses selon le moment de l’année ou l’objectif que j’ai fixé. La prise de note me semble également importante : trop d’élèves dans le supérieur disent ne pas y arriver. J’alterne donc et encourage l’élève à « standardiser » ses traces écrites (mêmes codes couleurs, typographie…) pour faciliter le travail de mémorisation.

 

Comment rendre l’élève de plus en plus autonome ?

Karin : La ritualisation de certains réflexes, comme noter ses impressions, les valider ou non, questionner ce qui résiste dans l’extrait, pourquoi … rassure l’élève. Le travail avec ses pairs me semble également important : à certains moments je m’interdis d’intervenir et laisse la classe gérer la circulation de la parole et la validation, ou non, des arguments des uns et des autres, sur le ou les sens porté(s) par le texte. Je crois que c’est important que les élèves se rendent compte qu’ils ont eux-mêmes les moyens de vérifier leur propos, sans un besoin constant de l’aval du professeur.  Varier les approches peut-être un outil, de façon à ce qu’ils puissent se saisir de celles qui leur conviendront le mieux. Enfin, il est crucial de leur donner les moyens d’élargir le cadre, en multipliant les supports, de faire saisir aux élèves les échos d’un texte à un autres, les contextes artistiques dans lesquels les extraits s’inscrivent, sans être systématique et en étant capable à chaque fois de poser un regard « neuf » sur le texte : leur donner finalement les moyens d’être curieux.

 

Comment l’aider à réviser, revenir sur son explication afin de l’enrichir et de se l’approprier véritablement ? (Types d’exercices / évaluations…)

Karin : Encore une fois, j’essaie de varier les dispositifs. Les élèves savent normalement (parce que nous le répétons) que l’explication linéaire ne peut être figée. La rencontre avec un nouvel extrait de la même œuvre ou d’une autre permet la confrontation, si des éléments sont repris ou fonctionnent en écho ; les élèves sont alors amenés à revenir sur une explication antérieure, pour l’enrichir ou la nuancer. Ils reprennent leur « fiche de révision », fiche qu’ils doivent personnaliser, mais avec toujours les mêmes codes, si possible, pour faciliter le travail de mémorisation.

L’entraînement et l’évaluation sont également deux leviers importants pour que les élèves s’approprient les explications. Je pense que l’élève a besoin d’expérimenter véritablement l’exercice pour se rendre compte des difficultés de ce dernier. Je peux alors mettre en place un travail de remédiation, dans lequel certains oraux sont entendus et évalués par l’ensemble de la classe. Les travaux d’appropriation peuvent être également une aide importante pour individualiser une explication.