Travailler la vigilance orthographique avec Elaastic : le cas du participe passé

Auteur : Florent CISTAC, professeur de Lettres Classiques au collège du Bois de la Barthe à Pibrac et formateur en Lettres

 

1.Description du cadre de l’expérimentation

J’ai expérimenté la plateforme Elaastic pour essayer d’améliorer la conscience linguistique et la maitrise d’orthographe grammaticale de mes élèves, sur une notion qui est pour eux au mieux floue, si ce n’est redoutable et redoutée : l’accord du participe passé. Les travaux d’écriture de mes élèves, aussi bien en contexte d’exercices spécifiquement orthographiques comme la dictée qu’en activité d’expression écrite, avaient démontré une maitrise très aléatoire.

Ainsi, j’ai utilisé la plateforme avec ma classe de 4e en fin de premier trimestre, au sein d’une séquence sur « La ville, lieu de tous les possibles ? ». Conjointement, ma classe de 3e a travaillé sur la même notion quelques semaines plus tard, au sein d’une séquence consacrée aux « Progrès et rêves scientifiques ».

Une heure entière a été consacrée dans les deux classes à ce questionnaire Elaastic, en salle informatique. Cinq questions ont été prévues et effectuées ; les questionnaires prévus pour les deux classes étaient similaires ; seules les phrases servant de support aux questions variaient en fonction de l’objet d’étude sur lequel nous travaillions.

Dans les deux cas, j’ai fait le choix d’utiliser la plateforme pour créer une évaluation diagnostique et voir plus finement les cas d’accord (ou d’absence d’accord) qui étaient maitrisés et ceux qui seraient à renforcer par la suite. Ainsi, ce questionnaire m’a permis de cerner deux grands enjeux dans la conception d’un questionnaire à visée diagnostique : le travail sur les représentations et la structure même du questionnaire.

Travailler sur les représentations linguistiques des élèves

La première question posée a permis de faire émerger les représentations des élèves sur l’utilisation du participe passé dans la langue française. Il s’agissait d’une question volontairement ouverte, où les élèves ne bénéficiaient ainsi d’aucune piste de réponse :

« À quoi sert le participe passé en français ? Dans quels cas l’utilise-t-on ? Répondez de manière rédigée en soignant votre expression. »

Ainsi, sont apparus plusieurs types de représentations chez les élèves :

des réponses de conjugaison :

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image 1 : question de départ

des réponses sémantiques :

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réponse première question

voire des réponses narratologiques :

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réponse première question

 

De la même façon, une autre question, à choix exclusif cette fois, a permis de faire émerger des erreurs basées sur un raisonnement orthographique erroné :

« Complétez la phrase en choisissant la bonne orthographe du participe passé. Puis justifiez votre choix de manière rédigée.

Le texte … en classe était très long et très difficile.

1. appri ; 2. appris ; 3. apprit ; 4. apprie »

Sur la classe de 4e, sur 25 élèves présents, 19 ont choisi la réponse 3, erronée. Les justifications apportées démontrent une méconnaissance de ce qu’est le participe passé. En voici quelques-unes :

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image réponses accord du participe passé

 

Ces quelques élèves prennent en effet le participe passé pour une forme verbale conjuguée à un mode personnel, oubliant que le participe est une forme adjectivale du verbe. Notons également que la notion d’accord est sinon absente, du moins très généralement insuffisamment définie. Que ces réponses aient récolté des évaluations plutôt positives de la part de pairs est un signe du manque de maitrise de la notion et confirme donc la nécessité d’un approfondissement.

 

L’ordre des questions : stratégie par « blocs » et stratégie d’entrelacement

Réfléchir à l’ordre des questions est une étape d’autant plus importante pour le cas d’un questionnaire utilisé en tant qu’évaluation diagnostique. Plusieurs ordres peuvent en effet s’envisager : expérimentant la plateforme avec mes deux classes de français, j’ai ainsi testé deux ordres différents pour chacune d’entre elles.

Pour ma classe de 4e, j’avais choisi d’ordonner les questions de la manière suivante : la première question, reproduite plus haut, avait une portée générale. La deuxième s’intéressait au cas où le participe est employé comme adjectif ; la troisième au cas où le participe est employé avec l’auxiliaire être ; la quatrième et la cinquième aux cas d’emploi du participe avec l’auxiliaire avoir, avec COD postposé et antéposé.

Cet ordre revient à une stratégie dite par « blocs »1 (le cas du participe passé employé avec être étant très proche de l’emploi purement adjectival), que l’on pourrait schématiser ainsi : A B B C C.

En revanche, pour ma classe de 3e, j’ai ordonné différemment mes questions, dans une stratégie dite de l’entrelacement. Ainsi, après la même question 1 définitionnelle, la deuxième portait sur l’emploi adjectival, la troisième sur les emplois avec l’auxiliaire avoir (COD antéposé et postposé), la quatrième sur l’emploi avec l’auxiliaire être et la cinquième sur l’emploi avec l’auxiliaire avoir, antéposé. L’ordre ainsi suivi serait à schématiser par A B C C B.

  1. Analyse de l’expérimentation et de ses résultats :

Les bénéfices 

À l’issue de cette expérimentation, il m’est apparu que les bénéfices du travail mené sur Elaastic sont de plusieurs ordres.

Ce type d’activité permet une attention accrue et une vigilance orthographique de meilleure qualité de la part de l’ensemble de mes élèves. Elle les contraint à se questionner attentivement sur les règles grammaticales, sur la graphie d’un participe ou sur celle qu’ils feront porter sur la forme verbale particulière qu’est le participe passé. En somme, elle permet de sonder en profondeur leur maitrise de la notion.

Les premiers bénéfices se constatent avec l’amélioration des scores obtenus.

  • De meilleurs scores

Tout particulièrement, la confrontation des points de vue sur les règles en jeu permet une amélioration significative des scores de bonne réponse entre la phase 1 et la phase 2. Sur les deux classes, toutes les phases 2 de confrontation de point de vue ont permis des augmentations, parfois significatives, comme celle reproduite ci-dessous.

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phase d'augmentation des premières réponses

 

  • Une amélioration consolidée par l’entrelacement

La différence de stratégie adoptée entre progression par blocs et par entrelacement fait à ce titre apparaître des avantages et des inconvénients.

L’approche par blocs (A B B C C) permet une meilleure consolidation des notions au cours de la séance. Ainsi, les pourcentages augmentent au fil du questionnaire, sur des cas similaires. Par exemple, dans ma classe de 4e, j’ai observé une progression très forte de 48 % à 92 % de bonnes réponses sur les emplois proches avec l’auxiliaire être et comme adjectif. Cela semble tout à fait logique car les élèves ont bénéficié de la question précédente pour traiter la nouvelle et, surtout, du feedback collectif qui en a été fait au tableau : la règle présidant à ces cas-là est ainsi très fraiche dans les esprits. Cependant, a posteriori, le bénéfice n’a pas semblé aussi significatif. Ainsi, j’ai posé les mêmes questions une semaine plus tard à ces mêmes élèves : 50 % des élèves ont correctement répondu à la deuxième sur l’emploi adjectival (soit une petite augmentation de deux points par rapport au score obtenu à la phase 2 sur Elaastic) et 85 % à la troisième sur l’emploi avec l’auxiliaire être (soit une baisse de sept points). À l’exception de la question ayant obtenu 50 % de bonne réponse, quatre sur cinq ont donné lieu à des scores moins bons que ceux obtenus la semaine précédente à la phase 2 d’Elaastic. Plus significatif encore : seuls deux scores sur cinq sont d’ailleurs meilleurs que ceux obtenus en phase 1 du questionnaire Elaastic. Cela prouve que l’acquisition est encore à parfaire.

L’approche par entrelacements, testée avec ma classe de troisième, amène à des résultats différents. Entrelacer les différents cas (A B C B C) fait que la règle vue pour le cas B est moins proche dans l’esprit de l’élève si la règle C a été vue entretemps. L’amélioration des pourcentages de bonne réponse au cours du questionnaire est ainsi moins spectaculaire que dans l’approche par blocs. Ainsi, j’ai pu constater une diminution des bonnes réponses données par mes élèves de troisième sur le cas adjectival et de l’auxiliaire être : 92 % dans la question 2 puis 87 % (phase 1) et 89 % (phase 2) pour la question 4. Sur les cas d’emploi avec l’auxiliaire avoir (COD postposé et antéposé), la question 3 ci-dessous a obtenu 46 % (phase 1) puis 73 % (phase 2) de bonnes réponses : 

 

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réponses augmentées avec entrelacement

 

Cela est meilleur que la même question posée à la classe de 4e (figure x), surtout au niveau de la phase 1 (46 % contre 12 %) mais aussi lors de la phase 2 (73 % contre 65 %), mais il n’en demeure pas moins que l’augmentation entre les deux phases est moins importante.

En revanche, les effets a posteriori semblent de meilleure qualité. J’ai réalisé deux questionnaires à une et deux semaines d’intervalle, le premier avec les phrases utilisées lors de la séance sur Elaastic, le second avec des phrases nouvelles mais suivant les mêmes cas. L’érosion après une semaine semble plus limitée qu’avec l’approche par blocs : ainsi, sur quatre questions, deux ont permis une amélioration des bonnes réponses par rapport aux scores obtenus lors de la phase 1 du questionnaire sur Elaastic, contre une seule avec l’approche par blocs avec ma classe de 4e. La semaine suivante a même vu une augmentation des scores sur les cas difficiles du participe employé avec avoir et COD antéposé, avec 93 % (contre 73 % sur Elaastic) à la question 3 et 75 % (contre 36 %) à la question 5. Précisons à ce titre que le temps de leçon après la séance sur Elaastic a duré le même temps dans les deux classes : je n’ai en effet pas pris plus de temps auprès de ma classe de 3e, ce qui aurait pu expliquer plus clairement cette hausse de résultats, que n’a pas connue ma classe de 4e.

  • Une rédaction de réponse plus approfondie et de meilleure qualité

Le travail sur la justification de leur réponse est un outil permettant les progrès les plus visibles chez les élèves du point de vue de la rédaction et de l’argumentation qui y est requise.

Sachant qu’ils seront lus par leurs pairs et par le professeur, les élèves sont plus attentifs à la qualité de leur rédaction. Ils bénéficient aussi des feedbacks successifs qui sont faits après chaque question, où le professeur examine au tableau certaines réponses apportées et demande comment les améliorer.

Ainsi, lors d’un devoir en classe de type DNB donné un mois plus tard à ma classe de 3e, j’ai pu constater une amélioration de l’argumentation des élèves, aussi bien du point de vue de la longueur que de la qualité de l’argumentation.

Afin de réactiver cette notion, la première question de la partie grammaticale faisait intervenir la notion d’accord du participe passé :

« Tu me récites la propagande que tu as apprise comme nous tous » (ligne 7)

Justifiez l’orthographe de la terminaison du mot souligné. Dans votre explication, vous devrez utiliser au moins une manipulation. »

Voici trois réponses provenant d’élèves fragiles : si leurs réponses restent maladroites ou insuffisantes, elles sont déjà mieux rédigées et plus développées que ce qu’ils avaient précédemment produit sur des questions de grammaire similaires :

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réponse de l'élève D

 

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réponse de l'élève L.

 

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Réponse de l'élève E.

 

Outre la seule amélioration simplement quantitative, la plupart des élèves a su réinvestir les conseils donnés lors des feedbacks dispensés après les questions d’Elaastic pour améliorer la qualité de leur argumentation. Même si elles sont incomplètes, ces réponses d’élèves d’un niveau convenable en grammaire le confirment :

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réponse de l'élève M.

 

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réponse de l'élève Lé.

 

Les élèves d’un bon à très bon niveau en grammaire proposent des réponses soignées, conformes aux recommandations dispensées par le professeur au cours de la séance sur Elaastic et des suivantes. Le soin qu’ils ont apporté à bien préciser la manipulation syntaxique demandée est particulièrement notable : il n’est pas certain qu’ils aient répondu de manière aussi développée sans le travail fourni. En voici deux exemples :

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réponse de l'élève Na.

 

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réponse de l'élève No.

 

Les bénéfices sont moins nets en dictée, étant donné que les textes proposés mobilisent de multiples notions grammaticales. Toutefois, lors de la dictée réalisée à la suite du devoir de type DNB de ma classe de 3e, plusieurs élèves ont correctement orthographié le participe passé utilisé dans le même cas d’accord avec un COD antéposé (« La pente qu’ils avaient dégringolée »). Voici deux exemples, d’un élève de niveau convenable en orthographe et d’une de très bon niveau :

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dictée de l'élève Le.

 

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dictée de l'élève No.

 

Quoi qu’il en soit, à l’issue de cette dictée qui comportait de nombreux participes passés, ma classe de 3e a obtenu une moyenne de 4,27/10, contre 4,22/10 à la précédente dictée. 13 élèves ont obtenu moins de 5/10 (contre 14 précédemment) et 6 la note de 0 (contre 8). Si la comparaison a ses limites, la classe a obtenu de meilleurs résultats, alors que la dictée était d’un niveau global équivalent.

Enfin, notons également que ma classe de 4e a pour sa part obtenu une moyenne de 13,7/20 à l’évaluation de grammaire sommative portant sur le participe passé (avec seulement 5 élèves en-dessous de 10) alors qu’elle obtient généralement des résultats en évaluation de grammaire situés entre 12 et 13 et que, surtout, le nombre d’élèves n’obtenant pas la moyenne à ce type de devoir se situe généralement entre 7 et 9.

Les limites

Cependant, il faut concéder que le travail mené sur la plateforme ne permet pas une amélioration de la maitrise des compétences grammaticales proprement miraculeuse.

Remarquons à ce titre que les conceptions erronées des élèves, même si elles ont été toutes en baisse entre les phases 1 et 2, peuvent subsister, comme pour cette question en 4e, où la confrontation des points de vue n’a pas permis de passer en-dessous de la barre des 50 %.

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image du taux de réponses bonnes ou erronées

 

De même, les effets sur le transfert aux situations d’écriture est difficile à évaluer avec précision, en dictée mais tout particulièrement dans les travaux d’expression écrite. 

Concernant la dictée faite avec la classe de 3e, voici des extraits de copies d’élèves qui ont répondu correctement à la question de grammaire demandant de justifier le participe passé accordé avec le COD antéposé mais qui n’ont pas bien orthographié le participe de la dictée qui faisait intervenir le même cas :

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texte de l'élève Na.

 

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réponse de l'élève M.

 

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réponse de l'élève Li.

 

S’il est vrai que cette phrase se situait en toute fin de dictée, où la vigilance orthographique est la moins élevée, il n’en demeure pas moins que certains élèves à maitrise orthographique convenable voire satisfaisante ne sont pas exempts de confusions grossières avec d’autres formes du verbe (imparfait, infinitif).

Cette limite du transfert aux activités d’écriture est néanmoins à nuancer : il nécessiterait une observation plus approfondie et surtout sur un temps plus long pour être pleinement significatif. En effet, il s’agit là d’une compétence complexe à faire acquérir aux élèves, qui demande du temps et une maturité linguistique de leur part.


 

En définitive, nous retiendrons les points saillants suivants. Le travail sur la plateforme permet aux élèves de se questionner, de réactiver leurs connaissances parfois floues, de se confronter aux autres représentations et d’améliorer, parfois significativement, la qualité de leurs justifications écrites dans la perspective de la première question de langue au DNB.

Elaastic peut ainsi prendre toute sa place dans les outils dont dispose le professeur de français pour améliorer le niveau de ses élèves en grammaire et en orthographe mais aussi et surtout dans son argumentation.

1 Quelques liens et références bibliographiques :

 

Retrouvez également ci-dessous la ressource au format pdf :