Lire Sido de Colette en seconde professionnelle
Nous avons célébré le 28 janvier 2023 le 150ème anniversaire de la naissance de Colette.
Colette, première femme à avoir bénéficié d’obsèques nationales en 1954, reste encore aujourd’hui un modèle d’émancipation et une pionnière dans bien des domaines qui restent contemporains : écologie, féminisme, égalité, diversité…
Approcher les œuvres de Colette est une réelle opportunité d’interroger une écriture ancrée dans les problématiques contemporaines et qui questionne aussi la part de soi dans un récit, la construction d’une identité.
Deux formatrices académiques, Gaëlle Nédélec et Sophie Nermon ont choisi d’explorer une des œuvres de Colette, Sido, à la lumière des programmes de lycée professionnel, et tout particulièrement celui de seconde dans l’objet d’étude “Devenir soi : écritures autobiographiques” dont vous trouverez la proposition pédagogique ci-dessous. Cette proposition met en avant des démarches qui permettent d’engager les élèves dans la lecture sensible du texte par le carnet de lecteur, la compréhension du texte en lien avec le dessin et les écrits de travail pour conduire à l’écriture de soi. Elle met en parallèle l’approche sensible du texte et celle du paysage pour entrer en lecture et en écriture.
Des adaptations possibles avec le programme de CAP, vous sont aussi proposées.
Lire Sido de Colette en 2nde professionnelle / Devenir soi : écritures autobiographiques
2023, année Colette !
Le récit Sido est paru en 1929. Il s’agit d’un récit d’inspiration autobiographique que l’on pourra étudier en 2nde professionnelle dans l’objet d’étude « Devenir soi : écritures autobiographiques ».
Lire et étudier Sido ne peut se faire sans une mise à distance. Une réflexion sur le personnage-auteur est à mener avant d’entrer dans une étude de l'œuvre. Il s’agit d'appréhender la complexité du personnage, une complexité mêlant contradictions dans les prises de position et dans les déclarations.
Le TDC (Textes et documents pour la classe du 15/09/2004 N° 880 : Colette, mythe et réalité) offre une multitude de documents qui mettent en lumière les projections, émulations et condamnations de l’autrice. Cela permet d’asseoir une distance critique pour travailler le fait qu’un auteur est fils de son temps et qu'il est un être humain, un être qui fait des choix, qui change d’avis et qui, parfois, semble se perdre dans des propos ambigus et polémiques.
Il est ainsi nécessaire pour aborder Colette de dépasser un certain nombre de clichés : Colette et ses chats, Colette face à la nature, Colette et l’homosexualité, Colette enfermée par son premier mari, Colette féministe… Une part de la fascination qu’exerce encore aujourd’hui Colette tient à la liberté, la place singulière qu’elle occupe également dans l'histoire de la littérature : d’une part à son indifférence à l’égard des grands bouleversements littéraires et historiques et d’autre part à l’absence de théorisation de sa pratique d’écrivain. Une “indifférence” marque également son appréhension des enjeux contemporains. Ainsi Aragon a souligné qu’elle fut “étrangère” à l’histoire et on commenta souvent son manque d’engagement et même ses compromis discutables au temps de Vichy.
Benjamin Crémieux quant à lui met en exergue une autrice “en avance sur son temps”, un être libre qui concevait l'écriture comme un métier, “un métier au sens plein mais aussi comme une attention minutieuse au réel auquel elle donne forme, profondeur et matière”. Il soulignait également la place particulière de Colette dans la littérature française : “Ce n’est que dans un siècle ou deux qu’on pourra doser avec quelque chance de précision l’apport de Colette. Elle a créé un style.”
Les propositions ci-dessous ne sont pas exhaustives et invitent les enseignants à s’emparer de l'œuvre dans le programme de seconde en utilisant les dispositifs qui font émerger le sujet lecteur et le sujet scripteur. Il s’agit d’une fiche ancrée dans les questions axiologiques que pose le programme de français de seconde professionnelle, des entrées en lecture et en écriture pensées dans une progressivité des apprentissages.
Inscrire son enseignement dans le parcours de l’élève |
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En classe de 3ème les élèves auront déjà abordé l’autobiographie. Extrait du programme de 3ème : Intégrer l’œuvre Sido de Colette en 2nde professionnelle n’est pas amener à réétudier le récit autobiographique tel que cela a été fait en 3ème. On s’attachera à la spécificité de cette œuvre d’inspiration autobiographique, au rôle des anecdotes, des sens dans le processus d’écriture, à l’organisation de l’œuvre, à la place que tient la nature, le rapport aux autres dans la construction de soi. On posera ainsi comme objectif d’inviter l’élève à entrer en résonance avec la lecture d’une œuvre pour le conduire dans une posture scripturale. |
Sido de Colette et le programme de 2nde Bac Pro |
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Extrait du programme de 2nde Bac Pro : En classe de 2nde Bac pro, il s’agira donc “d’approfondir [...] à travers des formes plus complexes et souvent moins linéaires d’écriture de soi. La littérature permet ainsi, en classe de seconde, d’explorer les multiplicités, les diversités, les évolutions d’une personnalité́.” Aussi on donnera comme objectif au projet pédagogique de mesurer la complexité de la mise en récit de soi dans la particularité de l’œuvre de Colette.Pour favoriser la distinction avec d’autres formes autobiographiques, on pourra se pencher sur la correspondance de Sido avec Colette. Sido de Colette inspirée d’anecdotes fictives reprenant la forme autodiégétique par les topoï autobiographiques permet de se questionner sur ce que l’on peut dire de soi, comment se dire ou se raconter. Ce livre tient autant de l’autobiographie que de la mise en récit de soi par un jeu fictionnel. Ainsi, Michineau indique qu’ «une autofiction est un récit où l’écrivain se montre sous son nom propre (ou l’intention qu’on le reconnaisse soit indiscutable) dans un mélange savamment orchestré de fiction et de réalité dans un but autobiographique». Il devient alors intéressant de croiser la lecture de Sido avec Lettres à Colette de Sido (2019, Libretto) et Lettres à sa fille de Colette (poche, 2006). Dans la préface des Lettres à Colette, (éd. Phébus, 2012), Gérard Bonal rappelle que Sido est le “personnage principal” de toute sa vie, érigée en véritable mythe. Le croisement entre les lettres réelles et les extraits de Sido pourra permettre à l’élève de mesurer comment s’établissent les liens entre réalité et fiction et comment s’articulent les liens entre la Sidonie légendaire et la figure maternelle existante. L’élève pourra, par exemple, mesurer si le caractère de la mère tel qu’il apparaît dans Sido se retrouve dans ses lettres par exemple. Il serait possible aussi de croiser Sido avec des extraits de Lettres à sa fille de Colette pour comparer les deux rapports mère / fille : Colette et sa mère / Colette et sa fille. L’édition des Lettres à Colette propose de retrouver le linéament du personnage, son humanité, sa consistance en quelque sorte. Mesurer l’écart entre la lettre authentique et le récit pourra permettre à l’élève d’envisager la dimension discontinue de l’autofiction ainsi que les jeux entre réalité, mythe et effet de réel. En seconde Bac pro, le programme invite à travailler l’estime de soi et la construction de soi dans le rapport aux autres et au monde. Ainsi, Sido et les écrits épistolaires mentionnés permettent de rentrer dans les enjeux du programme.
Extrait du programme de 2nde Bac Pro : «L’enseignement implique la réversibilité́ entre les activités de lecture et d’écriture, notamment au travers des genres discontinus (journaux, correspondances...) facilitant des écrits d’imitation et d’appropriation».Le programme établit explicitement le lien entre écriture et lecture, aussi les propositions qui vont suivre tentent d’en tenir compte. Elles tendent à engager dans la lecture et dans une réflexion sur soi. Elles encouragent l’élève à donner corps à son «texte de lecteur» et à s’interroger sur lui, son rapport aux autres, à la nature, par le travail de l’écrit. |
Proposition d’axes de lecture |
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Les axes de lecture proposés ici suivent la progression dans l’œuvre et ne sont en rien exhaustifs ni à étudier dans leur globalité dans le cadre d’une séquence. Bien d’autres peuvent être choisis. Il appartiendra à chacun de faire la sélection de son choix pour développer sa séquence pédagogique selon les objectifs fixés avec une classe. Ainsi les axes proposés sont à problématiser et il est possible de les réorganiser pour en favoriser les échos. Portrait d’une mère : on étudiera des extraits permettant de de dresser le portrait de la mère, pour cerner l’influence qu’elle a sur sa famille et notamment l’auteur. On pourra percevoir les contours d’un être qui s’annonce à part, peut-être exceptionnel. Chez Colette : Certains extrait permettent de reconstruire l’univers dans lequel vit Colette enfant, de questionner le rôle de l’imagination dans la construction du souvenir ou encore de montrer la place centrale de la mère non seulement dans la vie des siens mais aussi sur l’espace. Espace dans lequel se noue la relation mère-fille faite d’autorité et de connivence. Colette, sa mère et la nature : Le jardin est souvent le liant entre la mère et la fille. Il est l’œuvre de la mère, reconstruit par la mémoire de l’auteure, peut-être sublimé par le souvenir du bonheur de l’enfance. La nature est aussi l’écrin d’où se dégage un sentiment de liberté, liberté accordée par la mère dans une connivence toute particulière. L’écriture révèle une grande sensibilité à la nature, trait d’union entre les deux femmes, occasion de souligner la particularité de Sido, mais aussi éducation du regard de Colette. L’héritage familial : Colette souligne combien sa mère a influencé, construit celle qu’elle est au jour où elle écrit. Le présent de l’adulte est rattaché à celui de l’enfance par l’anecdote. De la même manière, Colette tisse autour d’anecdotes la relation qu’elle avait avec son père et ce qui lui en reste. Elle se dépeint comme une synthèse de Sido et du Capitaine, deux êtres d’une grande différence. Colette et sa fratrie : Colette présente plus particulièrement et avec une certaine tendresse son frère Léo, dont l’individualité est d’ailleurs la plus définie explicitement dans l’œuvre. C’est parfois grâce à lui que le souvenir jaillit, il devient le moteur du voyage dans le temps. L’aîné, Achille, est à trouver davantage dans les blancs du texte. Pour autant, la complicité entre les deux frères est un temps fort de l’œuvre, forçant l’admiration de Colette, enfant, qui cherche sa place parmi eux. |
Le carnet de lecteur : lire et se lire |
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Colette nous offre par son écriture l’occasion de rencontrer les siens (sa mère, Sidonie dans la partie I, son père dans la partie II intitulée « le Capitaine » et ses frères et sœurs dans la partie III « les sauvages ») au détour de la mise en scène d’anecdotes dans sa région natale de l’Yonne. La nature est ici l’écrin sensoriel qui relie les personnages entre eux. Aussi, accompagner la lecture pourrait consister à la mise en place d’un carnet de lecteur dans lequel l’élève pourrait : - Construire l'herbier de Colette au cours de sa lecture et le mettre en dialogue avec le sien. Au détour de la sélection de passages, de végétaux, de paysages, l'élève pourrait associer des images et être invité à répertorier des végétaux de son quotidien, ceux qui ont marqué son enfance ou qui sont les points d’ancrage de souvenirs. On pourra alors s’inspirer du travail de Raoul Dufy. Selon les trois parties de l'œuvre, ce carnet de lecteur pourrait être à la fois le support de l’avancée dans la lecture sensible du texte et permettre un dialogue entre lecture et expérience de l’élève.
Pour affiner cette approche du carnet de lecteur, vous pouvez consulter, sur notre site académique, la fiche «Faire lire les élèves de lycée professionnel : investir le journal de lecteur dès l’entrée au lycée professionnel» : ici. |
Comprendre et se raconter |
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La proposition suivante envisage de travailler la compréhension en lecture, de développer la capacité de l’élève à se construire une représentation mentale, suite à la lecture d’un passage. En effet, nombre de nos élèves peinent à se représenter mentalement un texte littéraire. Il s’agit donc de permettre à l’élève de rendre compte de sa compréhension et de voir comment en tant que sujet lecteur, il recompose par son imagination les indéterminations que laissent le texte. Ainsi on pourrait s’appuyer sur l’extrait 1 et partir d’une photographie du jardin de la maison où vécut Colette durant son enfance. Cette photographie pourrait alors devenir le point d’ancrage autour duquel l’élève construirait sa représentation du texte. Sur feuille A4, l’élève pourrait dessiner, schématiser autour de la photographie ce que lui évoque le texte. Il pourrait aussi recopier les passages qui ont nourri sa représentation. Un temps de confrontation des représentations, schémas dessinés et annotés de chaque élève permettrait de stabiliser leur compréhension du passage et de revenir au texte pour relever les expressions qui leur auront permis d’organiser cette représentation. Un prolongement de cette activité pourrait être une recherche internet sur la maison de Colette pour trouver d’autres photographies. Un travail sur l’image et sa traduction dans l’écriture de Colette pourrait permettre d’entrer davantage dans l’analyse en travaillant points communs et différences. Un second temps doit conduire vers l’écriture de soi. Ainsi la photographie amendée et annotée obtenue au cours de la première activité pourrait-elle devenir un modèle pour une écriture de soi, de son lieu de vie. Il s’agirait de proposer aux élèves un écrit de travail sur le même format : une photo/un dessin au centre et autour l’organisation de son environnement nourrie d’une prise de notes : description, anecdotes… Cette étape peut engager à une discussion entre pairs, une première mise en mots à l’oral qui peut permettre d’enrichir sa prise de notes. Avec comme appui l’extrait de Colette et le travail d’analyse qui en aura été fait, les élèves pourront être engagés dans une mise en récit de leur propre texte. |
Écrire pour lire et réécrire |
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Dans son ouvrage Le temps de l’écriture, François Le Goff ouvre de nouveaux horizons comme : - réinscrire le développement de la compétence d’écriture dans un processus au cœur de la stratégie d’apprentissage - faire que l’écriture suscite la lecture - redonner sens à la notion de processus - construire la compétence scripturale des élèves - permettre la reconnaissance du sujet scripteur Ainsi la proposition suivante, invite à entrer dans la lecture par un premier écrit suivant l’idée que « l’écriture crée le besoin de lecture » et que la lecture répondra à des besoins d’écriture par la construction de « nouveaux savoir-écrire ». Ainsi la lecture du texte littéraire est-elle pensée en rapport avec les besoins nés d’une première activité d’écriture. Il serait donc intéressant dans le cadre de l’étude de Sido de Colette, de partir d’un premier écrit afin de rentrer dans la lecture de l’extrait 3. La consigne pourrait inviter les élèves à écrire autour d’un souvenir qui leur a procuré un grand plaisir, un sentiment de liberté tel que « Plus jeune, on vous donnait l’autorisation de faire quelque chose qui vous procurait un grand plaisir / un sentiment de liberté. Racontez ce souvenir ». Une des questions qui se pose alors au scripteur est de savoir comment mettre en scène, rendre compte par l’écriture d’un tel souvenir, et de ses émotions. Le premier écrit produit, la lecture de l’extrait pourrait alors être proposée en classe afin que les élèves puissent trouver dans l’écriture de Colette les réponses à leurs besoins de scripteur. Après un premier temps d’accueil de la réception de ce texte autour de questions sur le ressenti de lecture, le(s) sentiment(s) éprouvé(s), les images qui leur viennent à l’esprit, ils pourront être mis en groupe pour confronter leur première lecture. En groupe classe, l’analyse du texte pourra être faite en partant de ces premiers ressentis et étudier comment par l’écriture Colette reconstruit le privilège qui lui était accordé. Un autre axe de travail pourrait être celui de la représentation de l’espace partant de comment chaque lecteur s’imagine cette scène. L’analyse tâchera alors de voir comment Colette par son écriture reconstruit l’espace, le monde dont elle prend possession. Cet extrait permet de voir combien cette expérience privilégiée construit la personnalité de Colette.
Un travail sur la langue pourrait être proposé sur les expansions du nom en partant d’un corpus grammatical issu de l’extrait proposé. Après ce temps de lecture, et d’analyse, les élèves pourraient revenir sur leur premier écrit grâce à une nouvelle consigne permettant d’intégrer les savoirs travaillés. Ils pourront être conduits à travailler leur intention de scripteur sur un lecteur potentiel. Il sera aussi possible de s’appuyer sur les brouillons de l’extrait dont les tapuscrits ont été publiés. L’observation du travail opéré par Colette au brouillon permettra de voir les gestes correctifs qu’elle emploie « suppression », « ajout », « remplacement », « déplacement ».L’objectif est de permettre aux élèves de se rendre compte du travail de l’écrivain et de s’approprier l’usage du brouillon pour retravailler leur propre texte (voir brouillons ci-dessous). Pour compléter l’étude de cet extrait, deux poèmes de Rimbaud peuvent être proposés : Aube et Sensation. L’un faisant écho à l’extrait en relatant une expérience passée à la première personne, l’autre s’en détachant par sa projection dans le futur. Un travail de comparaison peut permettre aux élèves d’identifier un motif commun aux trois textes et des différences dans son traitement pour approfondir le travail sur l’écriture. Ils pourront aussi être amenés à choisir le poème qui leur correspondrait le plus. Ainsi au cours de ces différentes activités, l’élève serait conduit à exprimer ses émotions et à se construire dans le rapport au monde soit en relatant une expérience passée soit en exprimant ses envies. |
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Approcher le paysage de manière sensible par la lecture et l’écriture |
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La littérature peut être travaillée comme une entrée de choix pour une éducation au développement durable par une approche sensible. Ainsi, la lecture de Sido peut permettre d'engager une lecture du paysage ; paysage dans lequel les êtres chers à Colette s’animent : père, mère et frères ; paysage dans lequel s’ancre le souvenir. Deux possibilités seront abordées ici pour développer l’approche sensible du paysage des élèves par la littérature.
Ici le paysage est travaillé tel un objet qui par le rapport sensible que chacun entretient avec lui permet de révéler des caractères. Pour cette première proposition un atelier d'écriture inaugural pourrait inviter les élèves à produire une description d'un être cher à partir d'une photo, cette description devant s'ancrer dans un paysage rural ou urbain. À la suite de cette courte écriture, la lecture du paysage dans l'œuvre de Colette viendra nourrir la compétence d'écriture de l'élève. Le paysage pourra alors être un prisme à travers lequel les élèves pourraient penser les relations qui les lient à cette personne. Aussi cette lecture du paysage devra être pensée comme intimement associée aux personnages présents dans l'œuvre. Par exemple, des extraits de l'oeuvre permettent de dresser le portrait du père «poète et citadin» en contrepoint des enfants «sylvains au pied léger» et de la mère en symbiose avec les végétaux. Lors de la lecture des extraits correspondant à cet ancrage des personnages dans le paysage, les élèves pourraient être invités à dresser le portrait du père à travers le prisme du paysage et de sa relation à l’environnement. Il s’agirait de permettre aux élèves, au cours des activités de lecture, de comprendre comment cet extrait : "Il était poète et citadin. [...] Assise au bord de l’étang, entre son mari et ses enfants sauvages, seule ma mère semblait recueillir mélancoliquement le bonheur de compter, gisant contre elle, sur l’herbe fine et jonceuse rougie de bruyère, ses bien-aimés…" vient démontrer l’assertion de Colette « il était poète et citadin ». On pourrait proposer comme activité des cercles de lecteurs en petits groupes, où les élèves seraient amenés à discuter du rôle du paysage comme révélateur des antagonismes entre les personnages et notamment de la singularité du père. Aussi il pourrait leur être demandé de relever de très courts passages dans chacun des extraits de l'oeuvre proposés, soulignant la particularité du père dans la famille. Il pourrait leur être demandé aussi : à quoi sert le paysage dans ces extraits ? Pour soutenir leur analyse, axer la réflexion sur l'étude des pronoms dans l'extrait permettrait d’envisager l'opposition entre les deux relations à la nature qui se jouent ici. De même, la modalisation pourra permettre aux élèves de saisir en quoi les portraits sont réalisés en opposition. D'autre part, dans l'extrait suivant, l'absence de relation entre le père et les animaux semble être la manifestation d'une certaine distance face aux autres êtres vivants : "Le soir tombait enfin sur notre dimanche-aux-champs. De cinq, nous n’étions, souvent, plus que trois : mon père, ma mère et moi. Le rempart circulaire des bois assombris avait résorbé les deux longs garçons osseux, mes frères. [...] Les genêts jaunes, bottelés, faisaient queue de paon derrière nous dans la capote de la vieille voiture. Mon père, en approchant du village, reprenait son fredon défensif, et nous avions sans doute l’air très heureux, car l’air heureux était notre suprême et mutuelle politesse… Soir commençant, fumées courantes sur le ciel, fiévreuse première étoile, est-ce que tout, autour de nous, n’était pas aussi grave et aussi tremblant que nous-mêmes ? Un homme, banni des éléments qui l’avaient jadis porté, rêvait amèrement…Amèrement, – maintenant j’en suis sûre. Il faut du temps à l’absent pour prendre sa vraie forme en nous. Il meurt, – il mûrit, il se fixe. « C’est donc toi ? Enfin… Je ne t’avais pas compris. » Il n’est jamais trop tard, puisque j’ai pénétré ce que ma jeunesse me cachait autrefois : mon brillant, mon allègre père nourrissait la tristesse profonde des amputés. Nous n’avions presque pas conscience qu’il lui manquât, coupée en haut de la cuisse, une jambe. Qu’eussions-nous dit à le voir soudain marcher comme tout le monde ?". L'épisode se clôt sur la vision des « genêts jaunes, bottelés faisant une queue de paon » qui vient marquer la mémoire de Colette enfant. Alors que le père évoquait plus tôt le « bleu Titarèse » du « noble décor », l'imagination enfantine transmue le genêt en animal. Pour assurer la compréhension des élèves et leur donner accès à une représentation du paysage, il pourra être nécessaire de travailler le lexique en appareillant les termes à des images afin que les élèves appréhendent les analogies végétales et animales décrites par l'autrice. Nous pourrions enfin amener les élèves à réfléchir sur la fin de cet extrait en engageant une courte réflexion de nature argumentative qui permettrait de travailler de concert le débat interprétatif et le raisonnement argumentatif autour d’un questionnement tel que « ce père était-il amer et triste, comme le pense Colette autrice ? ».
Dans cette seconde proposition, le paysage devient moteur du souvenir par les sensations qu’il permet d’éprouver. Par l’appréhension sensorielle du paysage, il est permis à l’élève de retrouver un souvenir qu’il est invité à poser sur le papier. Aussi il est tout à fait possible d'envisager l’écriture inaugurale en extérieur puis de venir abonder, nourrir cette écriture au regard de la lecture de Colette. En effet, l’écriture en extérieur est vécue comme une expérience sensorielle devenant un matériau à retranscrire dans un écrit personnel. Dans un second temps, nous pouvons envisager un retour à la lecture en nous appuyant sur le regard de JM Le Clézio sur le monde de Colette : «Ce monde en apparence paisible et quotidien, ce monde trop connu, voici que nous y sommes pris comme dans un piège. Colette nous sommes encore dans votre monde, nous n’en pouvons pas sortir, nous n’en voulons pas sortir, car il dure plus longtemps, il est plus vrai que le nôtre. Nous vous aimons bien l’unique écrivain matériel.» Ainsi, la matérialité de l’œuvre apparaît comme autant de points d’accroche non seulement pour questionner les récits autobiographiques mais aussi pour ancrer le récit de soi au paysage. Après l’étude des différents extraits, l’élève pourra revenir à son premier jet et le nourrir de la lecture notamment en travaillant le lexique et la modalisation. L’élève peut aussi être invité à choisir de nouveaux extraits dans l’œuvre pour nourrir son projet d’écriture. Cette sélection autonome permet de vérifier les compétences de lecture de l’élève, sa capacité à sélectionner des extraits dans une thématique commune, à mettre en réseau des extraits dans une œuvre. L’herbier précédemment cité dans le travail sur le carnet de lecteur, pourrait lui aussi devenir un point d’appui à la remédiation de cet écrit. L’élève peut convoquer ses propres impressions sensorielles et les augmenter. Cette « augmentation » pourrait passer par l’oral pour étayer la mise en mots, puis par la mise en récit et de plus être nourries d’images. Alors, avec les élèves nous nous attacherons à travailler la dimension sensible et matérielle du souvenir. Nous pourrions ici proposer une variation avec le format d’une «lettre au paysage » : Les deux propositions faites ici permettent à la fois de travailler différentes mises en récit de soi dans un dialogue avec le paysage, de développer l’acuité sensorielle des élèves à leur environnement, de s’appuyer sur le langage pour en rendre compte et de travailler la production d'images en réception et en production, en proposant à l'instar d'Edith Planche (op.cit.), un accès à la créativité et un accès à la réflexion par l'art et le sensible. Cette lecture pourra être croisée avec des extraits de La force de l’âge de Simone de Beauvoir qui permettront de faire une ouverture sur le paysage urbain. |
Retour sur le carnet de lecteur |
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Les lectures discutées entre pairs, les analyses menées en classe permettront à chacun de revenir sur la lecture qu’il aura faite du livre. Aussi après le travail mené ensemble est-il important de permettre à l’élève de revenir sur ses premières interprétations, de produire un écrit réflexif qui le conduise à formuler son analyse. Ces activités doivent le conduire progressivement vers les attendus de fin de cycle de Bac pro en termes de compétences de lecture mais aussi d’écriture. Il est alors possible à la fin de la lecture de chaque partie de l’œuvre de Colette et des analyses qui en seront faites en classe, soit de partir d’une citation, soit de la sélection d’un extrait par l’élève pour construire un raisonnement. À titre d’exemple et selon ce qui aura été conduit en classe, on peut demander à l’élève de choisir le passage qui selon lui est le plus représentatif de la relation entre Colette et sa mère, ou de la personnalité de Colette et d’expliquer son choix en s’appuyant sur sa lecture et le travail fait en classe. Il est aussi possible de partir d’une citation et d’en demander l’explication au regard de ce que l’élève aura compris de l’œuvre. Ainsi Colette écrit à propos de son père « Je m’avise à présent qu’il cherchait à nous plaire ». On peut demander aux élèves d’expliquer cette phrase en s’appuyant sur des exemples et sur les analyses faites en classe. Il peut en être de même avec « J’épelle, en moi, ce qui est l’apport de mon père, ce qui est la part maternelle », on peut alors demander comment Colette s’y prend ou ce qu’il y a en elle de chacun de ses parents. On observe que la question posée n’engage pas de la même manière le raisonnement de l’élève et ne le confronte pas au même niveau de difficulté aussi les choix opérés sont-ils à contextualiser selon la séquence menée et le public de chaque classe. Il est intéressant que ces écrits trouvent leur place dans le carnet de lecteur ainsi l’objet devient celui de la construction d’une posture de lecteur nourrie des premières impressions de lecture et d’une certaine distanciation. |
Résonance avec le programme de CAP : adaptation et suggestions |
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L’œuvre présentée pourrait être étudiée en CAP dans l’objet d’étude « Se dire, s’affirmer, s’émanciper ». Il conviendra d’en redéfinir la problématique selon les enjeux et finalités de cet objet d’étude. Les propositions pédagogiques dessinées ici mériteront d’être revues au regard des programmes et des besoins des élèves. Aussi un travail plus précis sur la compréhension en lecture sera un axe à approfondir au-delà des pistes évoquées liant dessins et lecture. Le travail proposé sur l’étude de la langue devra être circonstancié et lié aux attendus de CAP. Le travail sur le lexique pourra être une piste de travail intéressante. Les activités d’écriture liées à la lecture devront s’inscrire dans le principe de l’écriture longue et permettre à l’élève de s’entraîner à l’épreuve de CAP en CCF. Aussi, il conviendra de prévoir des situations, sujets d’écriture qui puissent permettre d’engager et vérifier leur compréhension. Un retour sur leurs productions entre pairs permettra de les investir en tant que lecteurs, de les inviter à une prise de distance par la formulation de conseils, ou d’attentes en tant que lecteurs. Travailler les 4 gestes de réécriture de manière explicite et collective en partant de leur production peut être une piste pour les amener à se les approprier progressivement tout en prenant appui sur les brouillons de Colette. |
Ressources complémentaires :
- Sur Colette et son œuvre :
- Découvrir Colette et son œuvre par le numérique. (s. d.). éduscol | Ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse - Direction générale de l’enseignement scolaire. https://eduscol.education.fr/3800/decouvrir-colette-et-son-oeuvre-par-le-numerique
- Colette - ressources en ligne. (s. d.). BnF - Site institutionnel. https://www.bnf.fr/fr/colette-ressources-en-ligne
- Colette - actualités, vidéos et infos en direct. (s. d.). Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/colette/
- Journal à rebours - Les amis de Colette. (2020, 26 mai). Les amis de Colette. https://www.amisdecolette.fr/colette/presentation-des-oeuvres/journal-a-rebours/
- La Maison de Colette. (2019, 19 juin). Une maison-livre - la maison de Colette. http://www.maisondecolette.fr/une-maison-livre/
- Lumni. (s. d.). « Sido » de Colette. https://www.lumni.fr/article/sido-de-colette-fiche-de-revision
-Hakem, T., Vassy, M., Dabbech, S., & Villeroy, J. (2023, 28 janvier). 150 ans de Colette : visite de la maison natale de l’écrivaine à Saint-Sauveur en Puisaye. France Culture. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/esprit-des-lieux/150-ans-de-colette-visite-de-la-maison-natale-de-l-ecrivaine-a-saint-sauveur-en-puisaye-2987589
- Compagnon, A. (2021, 21 juin). Un été avec Colette. France Inter. https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/un-ete-avec-colette
- Dugast-Portes, F. (2016). L’image de l’enfance et ses fonctions dans l’œuvre de Colette. entre tradition et modernité. Dans Presses universitaires de Rennes eBooks (p. 47‑58). https://doi.org/10.4000/books.pur.33680
- TDC Textes et documents pour la classe du 15/09/2004 N° 880 : COLETTE
- Sur l’autobiographie :
- accueil. (s. d.). http://www.autopacte.org/index.html site proposé par Philippe Lejeune
- Genon, A. (2009, 1 mars). L’œuvre de Colette : de l’autobiographique à l’autofictionnel. https://www.fabula.org/acta/document4922.php
- Sur l’écriture :
Le Goff, F. et Larrivé, V. (2018). Le temps de l’écriture. Écritures de la variation, écritures de la réception, Grenoble : UGA Éditions, 248 p. ISBN 978-2-37747-026-6
- Sur la lecture :
- Carnet et cercle de lecture, exemple de mise en oeuvre eduscol.education.fr/ - Ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse - Juillet 2019 https://eduscol.education.fr/document/24409/download
- Le débat interprétatif :
- Le débat interprétatif, eduscol.education.fr/ressources-2016 - Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche - Mars 2016 https://eduscol.education.fr/document/16432/download