Quand les séries font école
Deuxième numéro de ce zoom sur trois séries télévisées utilisables en classe. Régulièrement nous essaierons d’éclairer, de donner goût et proposer des pistes d’utilisation en classe sur des séries plus ou moins connues.
Our boys (Canal + ) – 1 saison
(Hagaï Levi, Israël / Etats-Unis, HBO, 2019)
Le 30 juin 2014, les corps de trois adolescents juifs, Eyal Yifrah, Gilad Shaar et Naftali Frenkel, disparus depuis le 12 juin sont retrouvés près de Hebron. Les liens de l’assassin avec le Hamas ouvrent une violente séquence politique qui transforme rapidement les victimes en martyrs et entraîne des manifestations hostiles aux Palestiniens. Quelques jours plus tard, dans cette ambiance de tension extrême, un jeune Arabe israélien de Jérusalem Est, Mohammad Abou Khdeir est assassiné par trois jeunes Juifs issus de la communauté orthodoxe. C’est sur ces événements que revient la série Our Boys.
Qu’une fiction s’intéresse à des « faits réels » n’est pas en soi très surprenant. Toute l’originalité réside ici dans le traitement de cette histoire et sa narration sans complaisance, très loin du récit national. La diffusion des premiers épisodes a entraîné l’ire du Premier ministre israélien Benjamin Nethanyaou qui a tenté de la faire interdire avant de la taxer d’antisémitisme. Le débat a été particulièrement violent et illustre les tensions dans la société israélienne.
En faisant le choix de centrer la mise en scène sur les meurtriers du jeune Mohammad Abou Khdeir, le réalisateur Hagaï Levi (connu notamment pour être l’auteur de In Treatment, la série la plus adaptée au monde) organise une plongée dans la société israélienne qui donne à voir toutes ses fractures et ses contradictions. Les fragmentations communautaires sont traitées comme des frontières à l’intérieur du pays. Les meurtriers, issus de la communauté ultra orthodoxe séfarade, les enquêteurs du Shabak – le service de sécurité intérieure –, les Arabes israéliens, les Palestiniens, tous figurent des parties d’un tout inconciliable. La série montre ainsi la grande diversité de la société israélienne et les conséquences politiques de cette fragmentation. Au-delà de sa grande maîtrise formelle et de l’interprétation, c’est le grand mérite d’Our Boys.
Cette série autorise de nombreuses applications pédagogiques. Elle peuvent s’inscrire dans le traitement du premier chapitre du thème 4 de terminale (rentrée 2020) “Nouveaux rapports de puissance et enjeux mondiaux” qui aborde les nouvelles formes de conflit et permet à travers la série une approche du conflit israélo-palestinien, à partir de l’étude des événements de 2014 et de leur traitement. Une autre approche peut consister en une analyse du conflit par les lieux. En effet, la série est majoritairement tournée à Jérusalem et la fragmentation urbaine apparaît clairement. Les quartiers, l’organisation spatiale, le rôle du tramway, sont autant d’occasion de mettre en lumière la dimension géographique du conflit par l’analyse d’un de ses « hyper-lieux ».
Enfin, cette série peut tout particulièrement être abordée dans le cadre de l’enseignement de spécialité de première histoire, géographie, géopolitique sciences politiques, notamment dans l’introduction de son thème 3 sur les frontières dans le monde d’aujourd’hui. Mais tout particulièrement, le thème 2 du programme de terminale est en complète adéquation avec la série, l’objet conclusif de ce thème sur les formes de conflit porte sur le Moyen-Orient et le premier jalon consiste à traiter “Du conflit israélo-arabe au conflit israélo-palestinien : les tentatives de résolution, de la création de l’État d’Israël à nos jours.”.
Our boys est donc l’occasion d’une réflexion sur la mémoire des événements et leur inscription dans les récits politiques. La situation géopolitique peut ainsi être entendue dans toute sa plasticité en confrontant les points de vue et les récits, les traitements médiatiques et les discours politiques.
La bande annonce de la série :
Un article du Parisien qui revient sur la série et les réactions qu’elle a entraînées
Une storymap sur les lieux de la série
Baron noir (Canal +) - trois saisons
(France - Canal + - 2016)
Baron noir est une série télévisée française créée par Eric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon. La première saison est parue en février 2016 sur la chaîne Canal +. Elle dépeint les coulisses du parti socialiste français au travers de la figure de Philippe Rickwaert (joué par Kad Merad), député-maire de Dunkerque, au début de la série. Comptant trois saisons, cette série aborde de nombreuses affaires et événements politiques comme la corruption dans une affaire liée à la gestion des HLM, les recompositions politiques à gauche et au centre, la montée et l'évolution du positionnement de l'extrême droite, la question de la laïcité à l'école...
La saison 2 qui traite notamment de la question de la laïcité à l'école (en particulier dans son épisode 3) peut être mise à profit dans le cadre du programme de terminale séries générale, notamment au sein du chapitre 3 "La République française" qui aborde la réaffirmation du principe de laïcité (2004).
En classe de terminale de série technologique, l'accession d'une femme ( Amélie Dorendeu jouée par Anna Mouglalis) à la présidence de la République peut servir de support de réflexion pour le thème "L’évolution de la place et des droits des femmes dans la société française". Le personnage revient à plusieurs reprises sur la différence de traitement entre une femme et un homme en politique (voir la fin de l'épisode 1 de la saison 2 sur l'élection d'Amélie Dorendeu comme première femme présidente de la République qui peut servir d'accroche).
C'est en EMC que l'utilisation de la série Baron noir est particulièrement riche. En collège, elle offre de nombreuses illustrations de l'engagement politique à différentes échelles (militants, réunions départementales, engagement national et européen) qui peuvent illustrer le thème "L’engagement politique, syndical, associatif, humanitaire : ses motivations, ses modalités, ses problèmes". La série dresse de nombreux portraits de militants à la permanence de Dunkerque, de parcours de candidats aux élections municipales, législatives, présidentielles et européennes.
Les nombreux partis et courants qui apparaissent dans la série, la plupart du temps réels ou parfois fictifs comme Debout le peuple, à la gauche du PS qui représente La France insoumise dans la série, peuvent servir de support au thème "Reconnaître les grandes caractéristiques d’un État démocratique" qui aborde la question du pluralisme politique.
Un des fils rouge de la saison 3 porte également sur le terrorisme, avec une réflexion sur une justice préventive face au terrorisme, en dehors de l'état de droit. Cela peut servir de support à plusieurs domaines d'EMC en seconde comme "La protection des démocraties : sécurité et défense nationales ; lutte contre le terrorisme ; état d’urgence et législation d’exception ; cybersécurité." ou encore "La sécurité et la défense dans un État de droit : définition et missions."
Enfin en terminale un domaine porte sur "Démocratie, exemplarité et transparence : les politiques de lutte contre la corruption ; les mesures concernant l’exigence de transparence financière des acteurs politiques et le financement des campagnes électorales ". L'ensemble de la saison 1 aborde ce sujet, les fonds de l'office HLM de Dunkerque servant, dans la série, au financement de la campagne du candidat socialiste.
Au final une très bonne série politique, qui aborde avec finesse la complexité des acteurs et des motivations et traite de manière transversale, des grandes problématiques politiques et sociales qui traversent la société française à notre époque.
Bande annonce saison 2 :
Pour aller plus loin, un article sur les enjeux politiques de la série :
Superstore (NRJ 12) - cinq saisons
(NBC - Etats-Unis - 2015)
Superstore est une série tv américaine créée par Justin Spitzer dont les premiers épisodes ont été diffusés sur NBC. En France, les premières saisons ont été diffusées sur NRJ 12 en septembre 2019.
Superstore raconte le quotidien, avec ses aléas, des employés cosmopolites d'un grand magasin de la chaîne fictive Cloud 9, installé dans l’Etat du Missouri, dans la banlieue de la ville Saint Louis. A l’heure du Covid 19, alors que plus de 700 000 salariés travaillant dans le commerce alimentaire en hypermarchés et supermarchés sont devenus notre seul lien avec la société, il est juste de s’interroger sur leur condition de travail. C’est ce que fait la comédie de Justin Spitzer, scénariste de The office. Il parodie le quotidien des employés sous-payés d’une grande surface et égratigne, gentiment mais sûrement la société américaine. Le réalisateur déclarait dans un article de Télérama du 14.04.2018 à Pierre Langlais que : “Les meilleures comédies mettent en scène ceux qui luttent pour s’en sortir”. Les employés de Cloud 9 pourraient porter des gilets jaunes. Tous les domaines sont abordés : sociologie de la société américaine, droit du travail, revendications syndicales, droits des femmes, droits des minorités, place de la religion, discriminations raciales, libertés individuelles et collectives, etc. Au travers des premiers épisodes, on ausculte la société américaine, analysant ses forces et ses faiblesses.
Elle permet de clore le thème 3 d’histoire de seconde sur le nouveau régime politique et la naissance des Etats-Unis en confrontant les enjeux de la constitution américaine et ses limites au XVIIIème siècle à la démocratie états-unienne aujourd’hui. En cinquième, cette série peut être abordée dans le cadre du thème 2 sur les ressources et plus particulièrement sur "L’alimentation : comment nourrir une humanité en croissance démographique et aux besoins alimentaires accrus ?". En lycée, le thème 2 de géographie en seconde "Une diversification des espaces et des acteurs de la production" aborde aussi bien la question des services que celle des flux matériels et des chaînes de production et se prête ainsi à une utilisation de la série.
Cette série aux épisodes courts permet donc de s’intéresser à un maillon essentiel de notre société, surtout dans la contexte de crise actuelle, en mettant en scène une satyre de la grande distribution. Le classement de l’entreprise Walmart comme première entreprise mondiale, et ce régulièrement depuis 2013 montre également le poids économique majeur de ces entreprises dans nos sociétés.
Une proposition pédagogique pour travailler sur la série Superstore en seconde en histoire.
Bande annonce de la saison 1
Pierre Langlais, « « Superstore », timide entrée au rayon comédie », Télérama, publié le 1.02.2018.
Redwane Telha, « "Superstore", le supermarché et les pauvres à la télé », France Inter, vendredi 25 octobre 2019;
https://www.franceinter.fr/emissions/capture-d-ecrans/capture-d-ecrans-25-octobre-2019