Ce nouveau numéro de Zoom - Quand les séries font école traite une actualité politique ce mois-ci, au travers de la présentation des enjeux didactiques de quelques séries. Les élections américaines sont abordées tout d'abord, dans une version uchronique, avec The plot against America de David Simon (HBO, sur OCS). La politique européenne est également au menu avec la série Parlement sur France.tv. Enfin, en ces temps d'éternel Brexit, la recension de l'ouvrage L'Angleterre en séries de Ioanis Deroïde donnera des pistes d'utilisation des séries anglaises pour mettre l'actualité en perspective.
The plot against America (David Simon HBO 2020), 1 saison
Considéré – à juste titre – comme un des meilleurs show runner américains, David Simon poursuit son oeuvre de déconstruction des grandes questions sociales et politiques de l’Amérique contemporaine en adaptant le roman uchronique de Philip Roth paru en 2004 (P. Roth, Le complot contre l’Amérique, Gallimard, 2004). Après Baltimore (The Corner, The Wire), La Nouvelle Orléans (Treme), New York (Show me a heros, The Deuce) ou l’Irak (Generation Kill), place donc à Newark, New Jersey, ville de Philip Roth et théâtre principal de son oeuvre. L’histoire le dispute cette fois à la géographie pour comprendre comment une démocratie peut vaciller en fonction des choix et des événements.
Comme le rappelle Emmanuel Carrère dans Le détroit de Behring, (E. Carrère, Le Détroit de Behring, P.O.L., 1986, p.8) le terme « uchronie » a été forgé par le philosophe français Charles Renouvier en 1876 qui le définit comme une « esquisse apocryphe du développement de la civilisation, tel qu’il n’a pas été, tel qu’il aurait pu être ». Projet qu’Emanuel Carrère synthétise ainsi : « l’histoire si elle s’était déroulée autrement. »
La question fondamentale, qui tient les historiens en méfiance vis à vis de ce procédé intellectuel et narratif, tourne autour de la place et du poids des événements dans la continuité des processus historiques. Est-ce qu’un événement plutôt qu’un autre peut décider à lui seul du cours de l’histoire ? Dans son autobiographie, Philippe Roth contourne ce problème en questionnant le rapport des lecteurs à l’imagination : « Comment se fait-il qu’ils se sentent en terrain plus ferme quand il s’agit des faits plutôt que de la fiction ? » (P. Roth, Les faits, Gallimard, 2020. p.201).
Car Le complot contre l’Amérique est un oeuvre d’imagination. En 1941, Charles Lindbergh remporte les élections face à F.D. Roosevelt et le cours de l’histoire emprunte un chemin différent de celui qu’on lui connaît. Au-delà des sympathies de l’aviateur pour le régime de Hitler, c’est surtout la position isolationniste des Etats-Unis qui est au coeur des débats et Lindbergh promet donc de rester neutre, de protéger en somme l’Amérique des tribulations infernales d’une Europe au crépuscule de son histoire. Pas d’entrée en guerre donc, la série débute ainsi et le tableau devient national, local même puisque c’est depuis Newark qu’est analysée l’évolution du pays.
Au coeur de cette ville du New Jersey qui se développe dans l’orbite New Yorkaise, le quartier de Weequahic est décrit par Philip Roth comme une enclave circonscrite par quelques rues et à l’intérieur de laquelle vivent des immigrants de la première et la deuxième génération. Largement intégrés, laïques et sécularisés, ces Juifs de Mitteleuropa voient leur vie transformée par l’élection d’un homme qui s’affiche volontiers avec les dignitaires nazis et ne cache pas ses idées antisémites. Mais l’Amérique est une démocratie et ces hommes et ces femmes l’ont justement rejointe pour fuir les régimes européens ouverts aux idéologies racistes. Ainsi se met en place une dialectique qui questionne la citoyenneté et la lente dérive d’un régime où ce qui était impensable devient normal. Peu à peu, sous les yeux du spectateur, se déroule un spectacle qui tient moins de la science fiction que de l’intelligence des faits historiques. Les Etats-Unis deviennent l’Europe, Newark une ville de Pologne et Weequahic un shtetl de Gallicie. On comprend alors comment les faits s’assemblent pour produire le fascisme et le racisme. Les questions de la résistance, de la fuite, de la passivité ou de la collaboration sont évoquées par petites touches qui forment un tableau complet de ce qui a conduit dans les années 1940 les sociétés européennes à un basculement mortifère. En ces termes, l’uchronie fait donc oeuvre d’histoire car elle permet d’élucider par le récit d’imagination les grandes questions du passé.
Cette série de six épisodes peut être utilisée en cycle 4 au niveau Troisième dans le Thème 1 L’Europe, un théâtre majeur des guerres totales (1914-1945) mais aussi en EMC pour une réflexion autour de la démocratie (Reconnaître les grandes caractéristiques d’un État démocratique)
Les nouveaux programme de Terminale dont « la construction d’une réflexion sur le temps », «le développement d’une réflexion sur les sources » et « la construction d’une culture générale » font partie des finalités, permettent un travail en profondeur sur cette série, notamment pour la question de la mise place des fascismes et des régimes totalitaires, au coeur de la thématique « Les relations entre les puissances et l’opposition des modèles politiques, des années 1930 à nos jours »
Parlement (Noé Debré, France.tv, 2020) – 1 saison
Tel le Candide de Voltaire, Samy déambule naïvement dans le labyrinthe du Parlement européen entre des adjuvants, des opposants et des personnages philosophes comme Eamon. C’était un tour de force que de parvenir à écrire une série comique sur le complexe processus décisionnel européen. Parlement a une vocation terriblement pédagogique, celle de réconcilier l’humain et la politique européenne. Cette réjouissante série sur les institutions désincarnées de Bruxelles commence au lendemain du Brexit, qui fait office de toile de fond de la série. Samy notre jeune assistant parlementaire est pris en tenaille entre les lobbyistes, les politiques de tous bords et ses propres aspirations. Il se retrouve embarqué dans une mission de haut vol : faire passer un amendement à la commission pêche, pour protéger les requins mutilés en Atlantique dont les ailerons sont vendus aux Chinois.
C’est une série intelligente et drôle, sur l’Union européenne qu’il faut absolument voir. Les décisions prises au niveau continental sont aujourd’hui si importantes pour notre quotidien que le visionnage devrait être obligatoire pour chaque citoyen européen. A défaut de faire baisser l’euroscepticisme, la série rend plus accessible et compréhensible Bruxelles, ce qui n’est pas chose aisée parfois. Elle permet de faire la connaissance des différents acteurs, mais aussi des forces en puissance et d’inscrire l’UE au cœur du système-monde. Les épisodes sont courts et il n’y en a que 10. Bref, en devoirs maison, nos élèves devraient tous commencer par visionner la série dès la rentrée prochaine ; en sachant que cette dernière est disponible gratuitement en Replay sur France.tv jusqu’en décembre 2022.
L’Union européenne étant divisée sur ce sujet maritime et halieutique, il est facilement imaginable de recenser les positions de chaque Etat soit pour mieux comprendre le processus décisionnel européen en classe de 1ère dans le Thème 1 sur le Fonctionnement de l’Union européenne, en EDS HGGSP, soit pour travailler sur les ressources halieutiques, en terminale, dans le Thème 1 sur Rivalités et coopérations dans le partage, l’exploitation et la préservation des ressources des mers et des océans. Mais cette série peut être également utilisée en classe de terminale du tronc commun dont le Thème 1 est Mers et océans : au cœur de la mondialisation.
Pour voir la série :
https://www.france.tv/series-et-fictions/series-comedies/parlement/
Liens complémentaires
Aude Dassonville, « Parlement” sur France.tv : la série qui prouve qu’on peut rire avec l’administration européenne », Télérama, publié le 09/04/2020 ;
https://www.telerama.fr/series-tv/parlement-sur-france.tv-la-serie-qui-prouve-quon-peut-rire-avec-ladministration-europeenne,n6624772.php
Charles Martin, « Parlement : la satire politique qui va vous réconcilier avec l'Europe », Première, le 16/04/2020 ;
https://www.premiere.fr/Series/News-Series/Parlement-la-satire-politique-qui-va-vous-reconcilier-avec-lEurope-critique
Stéphanie Le Friec,« PARLEMENT, la série décalée qui fait rire l’Europe », Le blog du cinéma, 29 avril 2020 ;
https://www.leblogducinema.com/critique-serie/parlement-la-serie-decalee-qui-fait-rire-leurope-critique-882151/Jean-Christophe
Brianchon, « Regardez "Parlement", la fiction numérique de France.tv, pour vous redonner espoir en l’Union Européenne », France culture, le 19.04.2020;
https://www.franceculture.fr/medias/regardez-parlement-la-fiction-numerique-de-francetv-pour-vous-redonner-espoir-en-lunion-europeenne
Thomas Sotinel, « Parlement », la construction d’une Europe de la satire », 14.04.20, Le Monde ;
https://www.lemonde.fr/culture/article/2020/04/14/serie-parlement-la-construction-d-une-europe-de-la-satire_6036557_3246.html
Cécile Baquey, "Qui est William Nadylam, le comédien fascinant de la série Parlement ?", France Info Outre-mer, 2.07.20;
https://la1ere.francetvinfo.fr/qui-est-william-nadylam-comedien-fascinant-serie-parlement-849382.html
Recension d'ouvrage :
L’Angleterre en séries, Ioanis Deroide, Boris Zaïon, First Editions, 2020
Un siècle d’histoire britannique à travers trois séries cultes. La double ambition de Ioanis Deroïde est de donner à voir comment les séries anglaises contemporaines abordent les grandes questions de l’histoire du pays au XX° siècle mais aussi dans quelle mesure ces fictions composent des documents qui peuvent être abordés comme des témoignages.
L’auteur insiste en effet sur la spécificité des séries anglaises dans un panorama largement dominé par les productions américaines. Il rappelle d’ailleurs que les Britanniques ont été les pionniers du feuilleton, n’hésitant pas à remonter jusqu’à Shakespeare pour souligner cette paternité.
Pour autant, le corpus auquel il s’attaque est plus contemporain et son étude circonscrite autour de trois séries, « qui se démarquent par leur succès international, leur production impeccable et leur charme aussi : Downtown Abbey avec ses maîtres et ses valets, Peaky Blinders et ses gangsters, The Crown et sa reine. »
Trois séries emblématiques qui permettent une approche globale de l’histoire britannique contemporaine. Trois entrées principales organisent le discours et permettent de naviguer dans le corpus avec facilité.
Les personnages historiques d’abord, la façon dont ils sont traités dans ces oeuvres de fiction, ce qu’ils représentent et – c’est très important – dans quels épisodes ils apparaissent. Ainsi, si l’on veut travailler autour de la figure de Churchill, pourra-t-on utiliser l’épisode 4 de la saison 1 de The Crown, notamment pour contrebalancer une certaine idéalisation du personnage en montrant comment son inaction durant le « grand smog » au cours de son second mandat (1951-1955) a pu être critiquée dans la société britannique. Au début de la saison 5 de Peaky Blinders, c’est Oswald Mosley qui apparaît, en 1929, l’occasion de traiter la pénétration des idées fascistes dans les démocraties libérales – un angle problématique qui rappelle le chef-d’oeuvre de Kazuo Hishiguro, Les vestiges du jour ( Presses de la renaissance, 1990). La Reine bien entendu, la famille royale ou Neville Chamberlain peuvent être ainsi incarnés et leur postérité discutée au cours d’un travail sur leur représentation dans ces médias.
La deuxième partie explore les moments clés et leur traitement dans ces séries. On retrouve par exemple les soldats au front en 1916 dans Downtown Abbey (saison 2) ou la question du retour à la vie civile dans Peaky Blinders. Le naufrage du Titanic (Downtown Abbey), la crise de 1929 (Peaky Blinders), ou encore l’émancipation des femmes et la question irlandaise font l’objet de fiches thématiques, renseignées et claires qui permettent leur traitement en classe.
La troisième partie, propose une approche sociale afin de mettre en lumière les permanences et les mutations d’une société bouleversée par les éclats du siècle.
Enfin, le livre se clôt sur une ouverture culturelle car ces séries permettent aussi une plongée dans l’ethos britannique pour ce qu’elles donnent à voir d’une société et de la manière dont elle conçoit elle-même sa propre théâtralité.
En somme un ouvrage particulièrement utile pour qui souhaite trouver des repères dans le maquis de ces séries aux saisons nombreuses et désire aborder l’histoire du XX° au prisme des séries TV.
Brèves
L'excellent podcast Histoire en séries continue ses productions avec parmi les derniers épisodes Ripper street avec Florence Largilliere, série sur une brigade de policiers à la fin du XIXèeme siècle en Angleterre, Troie avec Anastasia Paillard sur les mythes antiques et The Paper avec Marie Claire Jasarevic sur la Croatie d'aujourd'hui et ses zones d'ombres.
https://www.histoireenseries.com/
L'émission Une heure en séries sur France Inter par Xavier Leherpeur critique et fait découvrir de nouvelles séries. Parmi les dernières critiques, The Comey Rule sur l'élection américaine de 2016, De Gaulle, l’éclat et le secret, sur la figure de De Gaulle et , No Man's Land sur le conflit syrien.
https://www.franceinter.fr/emissions/une-heure-en-series