Les romans de Tanguy Viel sont courts, mais ses phrases sont très longues. La faute aux analogies particulièrement précises, coupantes, imparables. C'est pourquoi, une fois ouvert, on ne lâche pas un roman de Tanguy Viel :
« Elle a juré aux policiers qu'elle ne s'était pas assise tout de suite, un œil vers le grand miroir qui renvoyait sa silhouette maladroite, un autre à l'intérieur d'elle pour essayer de prendre la mesure de ce qui se passait, parce qu'à cet instant, cet instant seulement, dans les quelques secondes où elle hésiterait à s'asseoir, elle a compris qu'elle allait prendre une décision, comme une signature en bas d'un contrat qu'il serait difficile de rompre et dont elle aurait par avance accepté toutes les clauses, signé tous les avenants qui n'étaient pas encore écrits mais dont elle sentait que chaque mouvement représentait des pages entières noircies d'obligations. »
La fille qu'on appelle pourrait être une mauvaise traduction de « call girl ». Le titre est le premier grain de sable dans les rouages d'une machine qui déraille devant les yeux du lecteur effaré. Soit une jeune fille de vingt ans, Laura, fille d'un ancien boxeur Max le Corre, qui exerce désormais la fonction de chauffeur du maire d'une ville bretonne. Laura revient dans sa ville natale et cherche un logement. Son père a la « bonne idée » de lui proposer de solliciter le maire. Ce roman de Tanguy Viel parle d'aujourd'hui, ou pas. On pourrait croiser tous les jours ses personnages, teintés d'un déterminisme social dont visiblement on ne se débarrasse pas. On pourrait les trouver insipides, « normaux » en quelque sorte. Mais ce sont les héros de l'histoire. L'héroïsme ici se construit avec peu de choses : les mots de la fille et les poings du père. Dans ce récit, l'auteur explore ce que l'on a pris l'habitude depuis quelque temps de nommer la « zone grise » du consentement. Mais cette « zone grise » se décline en couches, celles de l'amitié, du pouvoir, de la complaisance et de l'indifférence. Le lecteur assiste au spectacle mais on ne lui fait pas la leçon. La machine tourne, les grains de sable s'accumulent. A la fin du roman, le lecteur a du grain à moudre.
Alexandra
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