De l'identité du personnage à l'identité numérique
La fiction pour interroger les biais des réseaux sociaux et des IA iconographiques
Lucie Moraine-Brochet, professeure de Lettres, collège Jean Moulin, Toulouse
Présentation de l'activité
Ce travail interdisciplinaire a été mené dans le cadre d’une séquence sur La Parure de Guy de Maupassant et a pour objectif de créer l'identité numérique d'un personnage de fiction.
Il s'appuie à la fois sur la notion didactique d'empathie fictionnelle, et sur l'actualité des pratiques littéraires des jeunes analysées dans le rapport publié en 2024 par le CNF sur les jeunes Français et la lecture : " 53% des lecteurs loisirs utilisent au moins un réseau social pour s'informer sur des livres. Lorsqu’ils utilisent les réseaux sociaux pour s’informer sur les livres, les lecteurs loisirs se tournent prioritairement vers YouTube, avant TikTok et Instagram."
- Le journal de personnage ou l’art de se mettre « dans la peau » d’un autre, par Véronique Larrivé
- Empathie fictionnelle et écriture en « je » fictif, par Véronique Larrivé
- Les jeunes Français et la lecture en 2024, rapport du CNL
Il s'agit d'approfondir l'étude de la nouvelle et caractériser de façon plus précise le portrait des personnages, tout en ouvrant un espace de réflexion sur l'identité numérique.
Outils numériques : IA génératives d'images et Instagram en vidéoprojection
Support : La nouvelle La Parure, Guy de Maupassant.
Objet d’étude : La fiction pour interroger le réel/ La nouvelle réaliste au XIXème s.
Prérequis : Avoir lu La Parure et avoir réalisé une étude approfondie des personnages du récit. Il paraît important d’avoir consacré une heure à l’étude du contexte culturel de l’époque.
Niveau : 4ème
Durée : 4 heures
Déroulement du projet
La séance 1 se mène avec le professeur documentaliste. Il s’agit de proposer en amont une réflexion sur l’identité numérique : quelles traces, volontaires ou non, de soi laisse-t-on sur Internet ? Que montrons-nous de nous sur les réseaux sociaux ? Comment distingue-t-on vie numérique et vie privée ? Le professeur peut projeter la vidéo de « Dave le voyant » disponible sur Youtube afin de réfléchir aux exploitations faites des données que nous laissons. Les élèves sont invités à questionner leurs propres pratiques numériques.
La deuxième séance permet de présenter le projet à proprement parler. On présente à la classe le profil Instagram fictif de Mathilde Loisel. On aura pris soin de créer auparavant ce profil en le nourrissant provisoirement d’images créées par l'enseignant à l’aide d’un outil d'intelligence artificielle iconographique. L'observation des images générées par IA permet d'interroger les clichés et les biais, notamment dans la représentation des femmes.
Cette réflexion critique permet d'amener les élèves à réfléchir aux choix iconographiques qu'ils pourraient faire pour remplacer les images générées par IA par des œuvres artistiques. On réfléchit aux éléments culturels qu’il serait intéressant d’ajouter pour nourrir ce profil, aux autres comptes possibles en fonction des autres protagonistes du récit. L'activité permet aux élèves d'approfondir la psychologie des personnages, de réfléchir sur leur origine sociale et sur le niveau de langage qu’ils adopteront dans leurs commentaires. Un des élèves a ainsi proposé que Charles Loisel publie un tableau de Manet et commente : « un magnifique tableau de Marie Bracquemond d’Edouard Manet. Le regard de la femme, ambitieux, me fait penser à celui de Mathilde ».
Se dessine alors un temps de recherche et un temps d’écriture.
La dernière séance permet un retour réflexif sur le projet mené.
Bilan de l'activité et retour réflexif
Points positifs :
- Dimension ludique et engagement des élèves dans l'activité et la réflexion. Les élèves se sont montrés particulièrement motivés pour ce projet. Les commentaires écrits par les élèves sont souvent comiques. La domestique bretonne de Mathilde commente ainsi un post de cette dernière sur le bal auquel elle a été conviée « : la bourgeoise ! Vous ne comprenez pas ce qu’on vit nous les femmes du peuple ! ». Charles Loisel affiche quant à lui une image de pot-au-feu sur son compte. L’élève a ici repris un élément présent dans le récit caractéristique du quotidien du personnage et de la dimension réaliste de la nouvelle.
- Dimension collaborative/ coopérative. Les élèves ont travaillé en groupe de façon efficace en échangeant non seulement sur les œuvres choisies, mais aussi sur les commentaires susceptibles de les accompagner, ce qui correspond à une pratique sociale partagée.
Points d’amélioration :
- La gestion du temps. La recherche d’œuvres artistiques destinées à nourrir le profil Instagram des personnages de la nouvelle est nécessaire mais chronophage (le programme de l’Opéra Garnier de l’année 1884 est intéressant mais difficile à trouver par exemple).
Points de vigilance :
- Attention à ne pas utiliser le compte personnel des élèves, ni celui de l'enseignant. Il faut veiller à créer le ou les comptes fictifs via une adresse de classe. Les comptes ainsi créés doivent également être privés. Instagram est utilisé en vidéoprojection par l'enseignant et les activités de recherche et d'écriture des élèves se font certes sur Internet, mais en dehors du réseau social.
- Il faut être particulièrement attentif aux éléments que les élèves sélectionnent pour nourrir le profil des personnages de la nouvelle. Il faut les aider à rechercher des œuvres picturales ou musicales pertinentes. L'interdisciplinarité avec le professeur documentaliste permet aux élèves d'apprendre à chercher des reproductions de tableaux authentiques et à réfléchir aux images libres de droit.