Exposition Arnaud Chochon (galerie A-Camus)

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Entre deux eaux

Arnaud Chochon, Exposition de photographies

du 15 février au 25 mai 2018.

A la galerie d'établissement du collège Albert Camus de Villemur-sur-Tarn.

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CONVERGENCE


Ce qui vient à nous en premier lieu, lorsque l’on considère l’ensemble de cette série photographique qui occupe actuellement nos murs, c’est la rythmique d’une profondeur répétée, l’application rigoureuse du même mode opératoire pour en accentuer les effets. Notre regard est conduit, orienté par des lignes convergentes, avant même l’identification de ce qui est représenté. Nous voilà pris ensuite par la découverte plaisante et confortable d’un inventaire, un  relevé méthodique de piscines publiques, ici présentées vides, au moment de ce temps très court d’entretien périodique. C’est ce calendrier de maintenance qui a déterminé les étapes de ce drôle de voyage engagé par le photographe Arnaud Chochon, au sein de notre patrimoine architectural français, nous en livrant au retour toute la richesse et la diversité  sur le plan de son évolution technique, des matériaux utilisés et des tendances ( néo-classique, néo-baroque, industrielle, arts déco…).
Fouler le fond du bassin libéré du poids de l’eau,  puis du regard  suivre les trajectoires, droit devant. Rester  sur le carreau, aspiré par un point. Le grand bain est à sec, les nageurs se sont égayés dans la nature, laissant place nette.  Arnaud Chochon transforme ces lieux en matériau photographique, nous plaçant d’autorité au centre, dans le chœur de ces cathédrales de béton, d’acier et de verre.  
L’expérience est engagée. Elle consiste à s’éloigner et à s’approcher à la fois de ce vide gigantesque circonscrit par la matière, informé par l’architecture. On peut alors se demander ce qui génère ce mouvement contradictoire qui dans un même temps rend accessible et met à distance. Il est dû, incontestablement, au medium photographique qui,  par nature, offre le recul nécessaire pour embrasser d’un seul coup d’œil une vaste étendue mais aussi au choix délibéré du point de vue (central et frontal) qui en appuie la perspective.


Cette série d’images apparait comme la confirmation d’une expérience visuelle préexistante à sa capture photographique. En effet, un édifice, avec son architecture à angles droits, ses piliers bien alignés, ses coursives, ses ouvertures, est conçu dans l’intention de découper l’espace  de façon à orienter le corps et le regard. Les lignes de fuites sont portées par les objets eux-mêmes, elles sont déjà un ordre symbolique construit par l’homme, une organisation signifiante que nous pouvons observer  in situ.  Mais  par essence, un édifice architectural se traverse, s’éprouve par la mobilité du corps et du regard, et ici, le point de vue unique et omniscient du photographe  le fige.

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LIGNE DE MIRE

Le choix de cette orientation centrale nous renvoie à notre mémoire culturelle occidentale, à ces peintures de la Renaissance dans lesquelles le regard du peintre et  celui du spectateur se voient alignés dans une seule et même direction, une ligne de mire partagée. L’école d’Athènes  peinte en 1511 par Raphaël  en offre un exemple. En effet, les lignes de fuites (droites parallèles dans la réalité qui apparaissent concourantes dans une représentation) y sont particulièrement prégnantes, le point de fuite (point d’intersection de ces droites) est situé au centre du tableau qui présente un axe de symétrie évident. Une sensation de perfection et d’équilibre se dégage de l’ensemble.
Arnaud Chochon, lors de la prise de vue, pourrait rompre avec la perspective classique en proposant une vue inclinée, une vue de dessus ou autres vues ne pouvant correspondre à une hypothétique place de l’œil humain, il décide au contraire d’amplifier à l’extrême la place des lignes de fuites dans l’image. Si nous nous sentons, de ce fait, aspirés par le centre, cette organisation spatiale  a également pour effet de nous faire entrer dans la cadence de l’espace architectural, de nous faire sentir les relations de symétrie du bâtiment et les rapports rythmiques dus à la répétition régulière des mêmes motifs. Ce choix artistique contribue à pourvoir ces piscines publiques d’une grandeur et d’une monumentalité propres  à des espaces religieux, il nous place également dans une attitude « spectaculaire », à distance du réel. Comme le disait Merleau-Ponty, la perspective est « l’invention d’un monde dominé », car elle vise à niveler et à placer sur un même plan ce qui entre en rivalité dans la vision « vivante ».


Le caractère répétitif et la rigueur de la captation  semblent tout droit issus de la tradition documentaire du 19ème siècle, dans l’esprit du catalogue scientifique, et pourtant Arnaud Chochon ne restitue pas fidèlement le réel, si tant est que l’on puisse le faire avec une objectivité absolue, il invente une réalité.  

 

MULTIPLES

C’est aussi par un processus sériel que cette fiction se construit. Ces images ne s’entendent qu’ensemble.  Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre, chacun de ces bassins publics se comprend comme une variante d’un référent unique. Comme dans le travail de Bernd et Hilla Becher, couple d’artistes allemands connus pour leurs photographies frontales d’installations industrielles, la qualité et la cohérence du tout rejaillit sur chacune des images. Décidant de se conformer à un même mode opératoire en termes de lumière (ciel couvert), de cadrage (frontal et centré) et de technique (chambre 20×25, téléobjectif pour éviter les déformations) Bernd et Hilla Becher créent des typologies de ces constructions qui mettent en valeur à la fois leurs points communs et leurs différences. Leur parti pris a profondément influencé certains  photographes contemporains. A leur manière, Andréas Gursky ou encore Stéphane Couturier, découpent notre environnement contemporain le plus banal (centres commerciaux, immeubles, chantiers etc…) en imposants tableaux photographiques où l’œil, loin d’être « conduit » comme il l’est dans les images d’Arnaud Chochon, peine à se fixer, tant le cadrage ou l’affluence de détails font naître la confusion.


Mais quel que soit le protocole adopté, ne s’agit-il pas de proposer, par la répétition et la variation, la lecture sensible et approfondie d’un lieu ou d’un objet, comme le faisait également Claude Monet en 1891 dans sa série des Peupliers? Et qu’en est-il  pour finir du plaisir de la collection et de la déclinaison, ne pourrait-il pas à lui seul légitimer la présence de ces images ?

Sophie Bach, Professeure d'arts plastiques, collège Albert-Camus, Villemur/Tarn

Téléchargez le carton d'invitation avec le texte de présentation ici :

 

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