MONSTRUM, OU LES VISAGES DU MONSTRE
Le vernissage des deux expositions " MONSTRUM", le 13 novembre à 17h30, au Lycée Gabriel Fauré à Foix.
du 3 septembre 2025 au 17 décembre 2025
MONSTRUM, dans sa racine latine, désigne le monstre ou le prodige :
Il peut ainsi s’agir d’un “être vivant dont l'organisation, dans sa totalité ou dans une de ses parties, n'est pas conforme à celle de son espèce”, ou bien d’un “objet ou être de caractère surnaturel.” Quoi qu’il en soit, on retrouve un être étrange qui ne correspond pas aux standards physiques de la norme ; le monstre, parfois terrifiant et difforme, souvent prodigieux, est toujours objet de fascination.
Cette fascination, déjà présente dans l’Antiquité - citons les Métamorphoses d'Ovide ou autres récits mythologiques (le Minotaure est le sujet d’une des œuvres de JORDA), se poursuit à travers les âges. Au seizième siècle, Boaistuau écrit les « Histoires prodigieuses », très populaires à l’époque, où il compile des récits de phénomènes extraordinaires, de monstres, de signes célestes ou encore de prodiges.
Cette exposition peut être vue comme un “récit du monstre”, un conte pictural de la déformation, narré par des pâtes très différentes.
Mais le thème du monstre ne disparaît pas sous la diversité : on y trouve l’expression d’émotions intemporelles telles que la peur, l’incompréhension ou l’hypnotisme, mais aussi la violence physique et psychologique, qui ne quittent pas les œuvres.
Si Joan JORDA et Louis GILLE ont un point commun, c’est bien la puissance de l’expression.
Ainsi, le thème du monstre est abordé par deux artistes de manières bien différentes.
Tout d’abord, si l’on s’attarde sur l'œuvre de Joan JORDA, Icare (Acrylique sur toile, 130x162 cm, 2008) semble regrouper les courants dominants de son style de peinture. La palette se compose de camaïeux de tons verts et jaunes accompagnés de nuances de gris. Aussi, des notes saturées de couleurs primaires chaudes émergent, contrebalancées par des noirs profonds.
Ces couleurs sont appliquées par une superposition de touches visibles et estompées qui laissent deviner un trait enfoui. Le tout donne un sentiment de “dilution” dans un amalgame de couleurs incertain que seul le trait noir vient restructurer. Ce trait est une ligne brisée nerveuse, à l’intensité variable qui cimente la composition.
Une double diagonale la structure, elle est matérialisée par le corps d’Icare au centre, ses membres guident notre regard vers les éléments autour.
Ce corps est déformé, sans volume, reconnaissable uniquement par une vague forme humaine (avec un œil, des bras…) tout comme le décor simplifié dans lequel il tombe.
Dans un second temps, Louis GILLE nous apporte une vision tout autre du thème MONSTRUM dans Rave (Huile sur toile, 130x162 cm, 2022).
Là où JORDA s’illustre le plus souvent par une palette homogène et douce, on trouve ici une collection de teintes agressives, acides et saturées (couleurs primaires, telles que du magenta ou du cyan…). Toutefois, ces couleurs très vivantes sont assombries par des noirs et des blancs cassés qu’on retrouve aussi dans le fond : celui-ci est uniformisé par la prolifération de détails qui rabat la perspective au premier plan.
Le détail se retrouve dans le trait de GILLE. En effet, la ligne est extrêmement définie et définitive, voire rigide : le cerne est omniprésent et contribue à la froideur globale de l'œuvre. Mais ces traits de contour n’empêchent pas un certain volume, modelé par des touches maîtrisées, mais visibles.
La composition, quant à elle, s’organise en trois plans horizontaux déterminés par l’empilement des six personnages. En dépit d’un axe de symétrie vertical (personnage central), ces mêmes figures créent le chaos de l'œuvre. La surcharge de détails et les déformations - si morbides qu'elles en deviennent drôles - des corps et des visages (avec leurs yeux rivés sur nous, leur peau cadavérique et leurs sourires anormalement dentelés) y participent entièrement.
Malgré des sujets d’apparence éloignés, ces deux œuvres inspirent un même sentiment de détresse. À la suggestion, le malléable de JORDA s’oppose le détail anarchique et proliférant de GILLE.
Toutefois, les œuvres se complètent, se rejoignant par exemple sur notre mémoire culturelle qu'elle soit populaire ou savante : Rave est inspiré des Razmokets, tandis qu'Icare inscrit son sujet dans l’Antiquité et la Seconde Guerre mondiale. Ces œuvres semblent nous rappeler que la définition du “monstre” repose sur notre bagage socio-culturel et peut varier.
Si Joan JORDA et Louis GILLE se répondent de par leurs styles complémentaires, cette même complémentarité est aussi mise en lumière par l’installation de l’exposition dans l’espace.
En effet, celle-ci est agencée de sorte à façonner une correspondance entre les artistes : tout au long du parcours, les œuvres semblent dialoguer et se répondre aux faveurs de l’espace de la grande salle Deleuze.
Tout d’abord, la plupart des œuvres ont été regroupées par artiste ; deux pans de mur sont ainsi occupés respectivement par des toiles de JORDA et de GILLE, se faisant face dans un jeu de miroirs : les dimensions des tableaux se rappellent à leurs homologues, (par exemple, Rave et Icare se font face et ont des dimensions sensiblement identiques) tandis que leurs styles détonnent et s’enrichissent mutuellement. On peut citer la joute visuelle entre les deux œuvres précédemment évoquées.
Ensuite, la série des Ménines de JORDA semble relier ces deux versants de MONSTRUM, sur le mur du fond, en un fil conducteur jalonné de toiles et de sculptures diverses.
Ce “fil conducteur” nous mène enfin à l’espace alcôve de la salle Deleuze, où la rencontre esquissée jusqu’alors se concrétise une fois pour toutes : s’y trouvent quelques toiles et figures sculptées de la main de JORDA, ainsi qu’une digigraphie de GILLE. Ces œuvres, de dimensions modestes, suivent l’alignement des yeux de chacune : là encore, les œuvres croisent elles-mêmes le regard de leurs artistes, ou celui des spectateurs, entre confrontation et complémentarité.
Cette exposition est ainsi bâtie sous le signe du dialogue, à la croisée des regards et des chemins, où deux antipodes graphiques se rejoignent - se joignent - dans la même ascendance : le monstre.
Héloïse MERCADIE, Anouk BIERMAN, Charlie DAURES TG°5, Terminales EDS ARTS PLASTIQUES