Daniel Bergez, l'explication de texte littéraire
Extraits de Daniel Bergez, L’explication de texte littéraire, Dunod (1989)
[L’explication linéaire] présente des désavantages bien connus : la tentation de la paraphase, encouragée par la décomposition du texte en brèves unités ; et une certaine myopie, sur un texte que l’on regarde de trop près pour en révéler suffisamment les lignes de force.
C’est pourtant par ce suivi du texte que l’explication orale se révèle irremplaçable. En affirmant la priorité du texte sur la voix du commentateur, elle est un exercice unique de soumission active [...]. Elle ménage la possibilité d’une recherche toujours inquiète, d’une interrogation toujours ouverte. Celui qui l’explique pas à pas consent à la précarité ; il préfère l’exigence de l’œuvre à la cohérence forcée de l’analyse.
L’explication de texte est en ce sens un exercice de lecture. [...] toute lecture est déjà une interprétation. Dès les premiers mots, c’est la totalité du sens qui est en jeu. Selon la logique de la langue, l’assemblage des mots postule un niveau de signification supérieur à chacun d’eux. Le sens reste donc toujours potentiel ; il s’élabore pas à pas à partir d’hypothèses construites et sans cesse validées ou rectifiées. Lire c’est globaliser, antinciper, confirmer ou rectifier et parfois relire.
Dans cette démarche cumulative, c’est à chaque fois la totalité du sens antérieur et à venir qui se construit [...]. Là où le point de vue synthétique, par une « mise à plat » préalable, assimile le texte à un espace soustrait au temps det dans lequel s’équivalent le début et la fin, l’explication linéaire, épousant son mouvement, rend compte de cette formation dynamique et perpétuellement changeante du sens.
[L’explication linéaire] nécessite [...] une lecture qui soit consciente d’elle-même, apte à subir les effets du texte, mais aussi à rendre compte des moyens par lesquels il les a provoqués.
La cohérence [d’une explication linéaire] sera d’autant plus préservée qu’on aura pris soin de définir préalablement une problématique, soit un ensemble de question et d’enjeux mettant le texte en perspective. Il est entendu aujourd’hui que le texte littéraire se caractérise, notamment, par une richesse extrême de significations diverses, et que les méthodes susceptibles d’en rendre compte sont, comme on l’a vu, nombreuses et parfois divergentes. Il faut donc choisir un ou des centre(s)d’intérêt majeur(s). Le commentaire y gagne une cohérence nécessaire qui n’occulte pas la polysémie du texte, mais l’ordonne. Présentée avant l’analyse de détail, la problématique joue également un rôle essentiel dans l’exposé oral puiqu’elle propose à l’auditeur des pistes de réflexion qu’il s’attendra à retrouver dans l’explication.
[Définition de la problématique] On voit qu’il s’agit le plus souvent d’une interrogation sur un rapport : la problématique dégage une question à partir d’une mise en relation. Encore faut-il préciser sur quel plan elle se place : celui du « faire », de la construction, de l’élaboration du texte, en rapport avec un élément de sens important.
Sylviane Ahr, l’explication de texte : entre subjectivité et distanciation
Extraits de Sylviane Ahr, L’enseignement de la littérature aux cycles 3 et 4 : quelles orientations pour quels enjeux ? (contribution aux travaux des groupes d’élaboration des projets de programmes C2, C3, C4 (octobre 2014)
Il s’agit donc de considérer en premier lieu l’élève comme un sujet lecteur, la lecture de la littérature comme une activité visant la formation de ce sujet lecteur, c’est-à-dire d’un sujet autonome, critique, conscient de ses gouts, capable d’exprimer un ressenti, une émotion, un jugement en se fondant sur sa lecture du texte, son expérience, ses lectures antérieures, sur sa connaissance des hommes, du monde, de la littérature, des arts (quels qu’ils soient), capable également de confronter son expérience de lecture non seulement à celle de ses pairs mais également à celle des multiples lecteurs qui l’ont précédé. […]
Il s’agit donc pour les professeurs de travailler sur les textes en prenant en compte à la fois l’expérience subjective des élèves et leur maitrise progressive des formes et des codes de la littérature ainsi que de l’histoire des faits littéraires, en d’autres termes, d’initier les élèves à la « lecture littéraire[1] ». Celle-ci repose sur l’idée que les deux approches théoriques de la lecture (théorie de l’effet, théorie de la réception), l’une accordant le primat à l’objet lu et aux effets de sens programmés par le texte, l’autre au lecteur et à la lecture empirique qu’il fait du texte, sont conciliables. La lecture littéraire se définit de fait comme un processus dialectique qui requiert implication (lecture subjective) et distanciation (lecture objective) de la part des sujets lecteurs. Effectivement, comme Vincent Jouve le précise, il y a « toujours deux dimensions dans la lecture : l’une commune à tous les lecteurs parce que déterminée par le texte, l’autre variable à l’infini parce que dépendant de ce que chacun y projette de lui-même », sachant que malgré tout « la réception subjective du lecteur est conditionnée par l’effet objectif du texte[2] ».
[1] Voir à ce sujet S. Ahr, (dir.), Vers un enseignement de la lecture littéraire au lycée – Expérimentations et
réflexions, CNDP/CRDP Grenoble, 2013, p. 15-26, et S. Ahr, Enseigner la littérature aujourd’hui : « disputes »
françaises, Paris, Éditions Honoré Champion, « Didactique des lettres et des cultures », sous presse.
[2] V. Jouve, La Lecture Paris, Hachette, 1993, p. 96.