Recourir à l'écrit d'appropriation pour entrer dans Mes Forêts d'Hélène Dorion

Comment un atelier d'écriture poétique peut-il contribuer à conduire les élèves à développer un regard autonome sur les textes littéraires et une sensibilité esthétique ?
Compte-rendu d'un travail conduit en 1ère STMG et en 1ère Générale à partir de Mes Forêts d'Hélène Dorion

Marie SICRE, professeure de Lettres au lycée Alexis Monteil à Rodez et formatrice académique
 

Présentation de l'atelier

Un atelier d’écriture poétique guidée a été mené pour préparer l’entrée dans l’œuvre Mes forêts d’Hélène Dorion. Le principe est de proposer cinq activités d’écriture poétique avec des contraintes et des consignes claires invitant les élèves, à partir d’un pré-poème, de jeux lexicaux et d’anagrammes, à entrer dans un processus d’écriture poétique. En abordant l’écriture de façon ludique et libérée d’un carcan formaliste du genre poétique dont il a parfois une vision figée et académique, l’élève s’inscrit dans une démarche de création poétique pour saisir la démarche créatrice de la poétesse Hélène Dorion et, par la suite, aborder le texte dans une perspective plus authentique et personnelle, guidé par une attention portée davantage au sens qu’à la technique.

 

En quoi ce processus peut-il nourrir l’explication linéaire ?

L'explication linéaire constitue un exercice intellectuel que l'élève doit s'approprier en envisageant le texte comme une proposition qui lui est faite et à laquelle il va se "frotter" et se confronter. L'enjeu est de créer les conditions d'une émancipation d'une parole professorale qui aurait, elle seule, accès au sens du texte qui serait lui-même figé.

Par cet atelier d’écriture, l’élève perçoit le caractère intuitif de l’écriture créative qui traduit avant tout des idées, des perceptions intimes, des visions personnelles du monde et des émotions esthétiques. Il expérimente, par cet exercice, l’acte de créer qui n’obéit pas de prime abord à une démarche technique et formaliste en dehors du sens mais à une intention que l’auteur va exprimer par les mots. Ils comprennent mieux ce qu’exprime Hélène Dorion dans son entretien « J’ai découvert qu’il y avait tout un monde derrière chaque mot que le poème déplie et manipule comme de l’argile. J’ai eu moi aussi envie de pétrir les mots. J’ai deviné qu’ils allaient devenir mes meilleurs alliés pour apprivoiser la vie et l’univers. » (p.149, éd. Bruno Doucey). L’élève a pu percevoir que le texte est un espace ouvert puisque lui-même a pu constater, lors des lectures à haute voix de leurs créations, des réceptions diverses et le fait que les élèves « écrivants » n’ont pas « utilisé» (terme récurrent dans les explications linéaires « l’auteur utilise… ») consciemment des procédés stylistiques mais en ont créés « sans y penser » préalablement. Toutefois l’activité finale impliquant un travail sur les brouillons les a néanmoins amenés à réfléchir aux effets stylistiques pouvant enrichir et préciser leurs intentions poétiques initiales. Ainsi les explications linéaires menées par la suite ont témoigné d’une approche beaucoup plus centrée sur le sens, les intentions et la singularité esthétique du texte, offrant la possibilité à l’élève d’aborder le texte librement, dans un esprit ouvert et à discuter sa réception du texte.

Son expérience de l'acte d'écriture a révélé que la création obéit à des variations, des jeux sur les mots et des intentions en mouvement. Le travail coopératif sur le texte donne lieu à des débats interprétatifs obligeant l'élève à préciser sa réception du texte, à étayer son propos pour convaincre l'autre ou se laisser convaincre. L'enjeu n'est pas de trancher mais plutôt de mettre en doute ses intuitions pour les remettre en jeu en les soumettant à une lecture plurielle.

Par exemple, lors de l’analyse du poème « Avant l’aube », un élève de 1 STMG hésitait sur le sens à donner aux vers « l’aiguille a percé la mince couche de bleu/elle a chassé l’éternité » : métaphore des rayons du soleil, évocation des aiguilles de l’horloge pour exprimer le temps, commencement de tout ou début de la fin. Il a finalement choisi d’exprimer ses multiples intuitions sans pour autant trancher, estimant que le sens est ouvert et à questionner.

Ainsi, pour reprendre Daniel Bergez, l’explication linéaire « ménage la possibilité d’une recherche toujours inquiète, d’une interrogation toujours ouverte. Celui qui explique pas à pas consent à la précarité ; il préfère l’exigence de l’œuvre à la cohérence forcée de l’analyse ».

L'atelier d'écriture a permis de montrer que le sens n'est pas figé, qu'il est soumis à la réception et qu'il doit être discuté tout en laissant place à des lectures plurielles et subjectives dont l’explication linéaire est l’expression.

 

L'atelier d'écriture consacré à Mes Forêts d'Hélène Dorion