C’est moins le cas pour le support abordé lors de la mise en place de l’atelier avec les élèves de 3ème du collège Louis Pasteur, à savoir une chanson du groupe die Ärzte, Schunder-Song intégrée dans une séquence consacrée au thème du harcèlement scolaire.
IA et traduction - Comment traduire à l’ère de DeepL & co ?
Atelier organisé dans le cadre de la Journée Académique de l'Allemand 2025 - Intellig'Allemand, mené par Carole FILY, professeur d’allemand et traductrice

Lors de la Journée Académique de l’Allemand organisée le 22 janvier 2025 au lycée St Sernin de Toulouse, Mme Carole FILY, professeur d’allemand et traductrice est intervenue pour animer un atelier intitulé « Comment traduire à l’ère de Deepl & Co ? ». Son objectif était de présenter un déroulé d’activités permettant de sensibiliser les élèves aux techniques de traduction ainsi qu’aux limites de l’intelligence artificielle (l.A.) appliquée à ce domaine.
Elle est ensuite intervenue dans plusieurs établissements de l’académie, notamment au Collège Louis Pasteur de Graulhet (Tarn).
Cet article se propose de vous décrire la démarche qui fut la sienne lors de ces interventions. Elle n’a pas valeur modélisante mais peut donner des repères et fournir des pistes de mise en œuvre aux enseignants qui souhaiteraient effectuer un travail analogue avec leurs élèves.
A. Les enjeux de la traduction
I. Un sondage en guise d’introduction
Pour démarrer, Mme FILY demande qui, parmi les élèves, a déjà eu recours à des outils basés sur l’Intelligence Artificielle. Certains avouent timidement avoir déjà utilisé quelques services pour faire leurs devoirs (snapshat, google traduction, Deepl), tout en relativisant la pertinence de leur usage (« j’y ai recours comme outil mais je ne fais pas confiance, c’est qu’un outil »).
Mme Fily ne contredit pas l’utilité de certains outils mais précise qu’ils sont à manipuler avec précaution, voire une certaine distance. Elle conseille aux élèves de faire fonctionner leur tête et d’apprendre à réfléchir de façon à pouvoir utiliser ces outils avec raison. De plus en plus de personnes se contentent en effet de traductions automatisées, parfois approximatives, y compris des entreprises qui, au final, cantonnent les professionnels de la traduction au rôle de simples relecteurs - correcteurs - vérificateurs de textes traduits par l’IA.
Elle prend ensuite l’image de deux verres de formes différentes, pour expliquer que les langues ne sont pas équivalentes. Le français est un contenant, il a une structure et le texte est comme une boisson, il prend la forme du verre. L’allemand a une autre structure et le texte, même s’il a le même contenu, aura une forme différente.

II. Un travail d’association
La base d’une réflexion collective étant posée, Mme Fily demande aux élèves d’identifier des paires de mots et d’expressions :
• einen Frosch im Hals haben = avoir un chat dans la gorge
• einen Kater haben = avoir la gueule de bois
• eine Angsthase = une poule mouillée
• Das ist mir ein Dorn im Auge = c’est ma bête noire
• Das ist nicht dein Bier = Ce ne sont pas tes oignons
• Eine dumme Gans = une oie blanche
• Hässlich wie die Nacht = moche comme un pou
• Eine lange Latte = une grande sauterelle
L’objectif de cette activité est de faire comprendre aux élèves qu’on ne peut traduire d’une langue à l’autre par un simple copier-coller. Mme FILY introduit la notion d’idiomatisme et ajoute que la traduction va au-delà de la simple correspondance mot-à-mot. Parfois, cette forme de traduction peut être satisfaisante, parfois non.
III. Une illustration à l’aide de quelques exemples
Afin que les élèves en prennent conscience, elle fait traduire deux expressions par l’outil Deepl : « Elle se promène au bras d’une grande sauterelle » et « hässlich wie die Nacht ». Le traducteur fournit pour la première la traduction suivante : « Sie geht am Arm einer großen Heuschrecke spazieren ». Les élèves sont invités à imaginer la scène correspondante et se rendent rapidement compte que cette traduction ne peut être qu’incompréhensible pour un germanophone. Il en va de même pour l’expression « hässlich wie die Nacht », traduite « laid comme la nuit ». Cette traduction ne signifie pas grand-chose pour un francophone, puisque c’est au pou que l’on associe d’ordinaire la laideur.
La preuve est ainsi faite que la machine peut se révéler inefficace et mal traduire. Mme FILY illustre par là même l’importance du contexte dans la traduction : un traducteur automatique peut générer des traductions littérales, mais il ne prend pas toujours en compte la culture, le sens caché ou le registre de langue et la question n’est finalement pas tant de savoir ce que l’on traduit mais comment on le traduit.
B. L’analyse de traductions
Mme Fily invite son auditoire à réfléchir aux domaines dans lesquels il faut particulièrement être vigilant lorsqu’on souhaite traduire. Les élèves se montrent pertinents et parviennent assez vite à circonscrire ces domaines aux textes contenant des expressions imagées, avec de la description, ou des poésies avec des rimes, des métaphores, jeux de mots, images, … Pour mesurer à quel point il convient de faire attention, la classe va à présent travailler sur une chanson.
Remarque : Lors de chacune de ses interventions, Mme FILY propose un document différent aux personnes avec lesquelles elle travaille. Selon le groupe-cible, il est possible de choisir un document dont la redondance texte - image est plus ou moins forte. Ainsi, l’illustration visuelle du texte est-elle particulièrement marquée dans le cas de la chanson Dorfkinder (Finnel) présentée aux professeurs lors de la Journée Académique de l’allemand.
I. Une première écoute sans les paroles
Les élèves écoutent une première fois la chanson sans disposer du texte. Ils sont répartis en deux groupes : chacun d’entre eux se voit attribué une tâche différente à réaliser. Le premier doit se concentrer sur la mélodie pour analyser le rythme et les sonorités particulières du morceau tandis que le second a pour mission de repérer des mots connus / transparents, afin de porter son attention sur le sens du texte, comme pour une tâche d’écoute classique.
Les élèves repèrent aisément les principales caractéristiques du texte :
• La rapidité du rythme
• Le style rock, punk, dynamique
• Les répétitions (Fresse)
• Le refrain (Mitten in die Fresse rein)
• La présence de rimes
Les premiers repérages textuels font aussi l’objet d’une mise en commun : Fresse, schlagen, Aggression, nicht nett, …
II. Une deuxième écoute avec les paroles
Les élèves procèdent à une nouvelle écoute, cette fois-ci avec le texte sous les yeux. De plus, un temps est consacré à sa relecture, ce qui permet aux élèves de comprendre assez bien le texte étudié, quoi qu’ils en pensent sur le moment (« on ne comprend pas tout le vocabulaire »). Ils analysent à la fois la forme (le nombre de couplets, l’organisation des rimes, …) et son contenu et repèrent l’utilisation d’un langage argotique / familier.
Remarque : Selon le document étudié, cela pourrait également être la présence de références culturelles. Ce fur le cas pour la chanson proposée aux professeurs participant à l’atelier lors de la Journée Académique de l’Allemand.
Un premier bilan est fait afin de souligner que traduire, c’est finalement devoir prendre en compte différents critères qu’il convient de respecter :
• Le sens du texte
• La forme (rythme, nombre de syllabes)
• Le schéma mélodique (rimes)
• Le registre de langue (argot, familier, …)
• Les références culturelles spécifiques
III. Une analyse d’une traduction automatisée
Mme FILY distribue aux élèves la traduction de la chanson réalisée par l’IA de Deepl. Ils doivent à présent la comparer avec la version d’origine. Des questions ciblées leur sont posées afin de les aider, si besoin à repérer les différences. Plusieurs éléments sont progressivement mis en évidence :
- L’absence de respect du rythme et des rimes : Deepl ne prend pas en compte ces aspects importants de la chanson.
- La présence de davantage de syllabes en français : Mme FILY confirme un allongement du texte en français d’environ 20% (Ce phénomène est connu sous le nom de « coefficient de foisonnement »). La traduction est souvent plus longue que le texte original en raison de la structure différente des langues, ce qui ne va pas sans poser problème lorsqu’il s’agit de traduire des sous-titres.
- La présence de contre-sens et non-sens : Les traductions de Deepl ne restituent pas correctement certaines nuances (ex : das Maß ist voll : la mesure est pleine).
- L’absence de mélodie : La traduction n’a pas le même impact sonore ou rythmique que le texte original.
- La disparition des rimes : Elles sautent d’une version à l’autre.
- L’aseptisation du registre de langue : Ce dernier, très familier en allemand, devient standard en français.
Se poserait également la question des références culturelles présentes dans le texte. Doivent-elles être conservées ? Si les professeurs faisaient travailler leurs élèves sur la chanson Dorfkinder, les références « Engelbert Strauss » ou « Fendt » seraient-elles comprises de ces derniers ?
Pour finir, Mme FILY interroge les élèves sur les éléments qu’il faudrait prendre en compte si l’on cherchait à traduire la chanson afin de pouvoir la chanter. Les élèves ont désormais cerné les contraintes à respecter, elles sont évidentes pour tous : Le sens, le même nombre de syllabes, la présence de rimes, …
Certains élèves demeurent cependant « frileux ». Lorsque l’un d’entre eux demande s’il est autorisé en traduction de changer certains mots, Mme FILY lui précise que cela peut être nécessaire pour compenser la difficulté, mais que cela n’est pas un problème en soin dès lors qu’on choisit des mots relevant du même champ lexical. C’est pour les élèves une bonne leçon que leur soit rappelé par un intervenant extérieur qu’ils ne doivent pas hésiter à creuser le sillon des champs sémantiques et lexicaux et de procéder par associations d’idées afin d’arriver à s’exprimer en langues étrangères. Désormais, les élèves vont pouvoir mettre en pratique ce qu’ils ont découvert.
C. La réalisation de traductions
Pour la dernière phase du travail, la classe est partagée en différents groupes. Chacun est chargé de retravailler un extrait de la chanson étudiée afin de le traduire en respectant les contraintes listées précédemment. Cela leur permet de se confronter directement aux exigences et contraintes de l’exercice. Cela est loin d’être facile car il faut comprendre et accepter la remise en cause bienveillante de Mme FILY (« Quand on a une idée, on vient nous changer tout »).
Au terme de l’atelier, chaque groupe présente le résultat de son travail et un dernier échange permet d’analyser les stratégies mises en œuvre par les élèves pour remédier aux difficultés rencontrées. Voici le résultat du travail fourni par les élèves de 3ème :
Nous retiendrons, en conclusion, que la mise en place de l’atelier s’est révélée très intéressante aussi bien pour les professeurs que pour les élèves qui ont pu en bénéficier. Au collège, si le démarrage fut pour certains « un peu long », ils ont, sur la phase de mise en pratique, pris un réel plaisir à rechercher de nouvelles formulations et ce, malgré les difficultés inhérentes à l’exercice (« C’était enrichissant », « J’ai adoré changer les paroles de la chanson », « c’était génial »).
Le travail s’est déroulé dans une atmosphère conviviale et détendue et les élèves ont trouvé l’exercice amusant (« c’était drôle », « J’ai bien rigolé avec mon groupe »). Le fait que le texte d’origine relève d’un registre de langue familier y est certainement pour beaucoup, car les élèves ont profité d’un espace de liberté auquel ils ne sont d’ordinaire pas habitués (« Ça changeait des cours habituels », « Ça m’a plu de me lâcher », « On pouvait utiliser du langage grossier », « C’était bien de pouvoir parler en langage familier avec des mots de kasos »).
Ils ont cependant le sentiment d’avoir travaillé (« dans la rigolade mais avec sérieux ») et ont apprécié, pour cet exercice intellectuel qui leur était étranger, d’avoir pu laisser libre cours à leur créativité (« J’ai aimé que l’atelier soit de la recherche », « ça nous a fait travailler aussi grâce à notre imagination »).
Ils ont été rassurés de devoir travailler en groupe. « Faire à plusieurs » les a motivés et ils se sont pleinement investis, conscients de la responsabilité qui était la leur. Il s’agissait de « bien faire » pour ne pas avoir honte devant les autres. La tâche s’inscrivait dans une approche coopérative, et chaque groupe était en somme responsable d’une partie d’un puzzle à reconstituer.
Le résultat bien qu’imparfait et non abouti a suffisamment plu aux élèves pour que fièrement, ils tentent une mise en voix de leur création avec la version instrumentale de la chanson.
Nul doute que la réflexion entamée laissera une trace dans leur esprit et gageons qu’ils utiliseront désormais les outils de l’Intelligence Artificielle avec davantage de discernement. C’est en tout cas l’enjeu des années à venir tant l’usage de ces derniers s’inscrit désormais dans le quotidien de tous.
Magali RODE / Stéphane RAYMOND