Entrer dans la lecture linéaire par l’écriture, Rimbaud « ma Bohème »
Contextualisation de l’activité
La séance s’inscrit dans le cadre plus large d’une séquence consacrée à l’étude des Cahiers de Douai par le biais d’un travail sur l’écriture. Profitant de la proximité entre l’âge du poète lorsqu’il recopie ces textes et celui des élèves, la séquence fait le choix de jouer la carte de l’identification et invite les élèves à produire, selon des modalités très diverses, des écrits poétiques dans un petit carnet qui leur a été remis en début de séquence.
Objectifs de la séance
La séance (1h) s’appuie sur un exercice emprunté à l’émission « Des papous dans la tête1 » diffusée de 1984 à 2018 sur France Culture : la textée. Il s’agit de « dicter » un texte sous forme de consignes d’écriture. C’est une version adaptée qui est proposée aux élèves. Les consignes sont préparées par le professeur à partir du texte « Ma bohème » de Rimbaud. On y ajoute quelques contraintes d’écriture. L’objectif est triple : d’abord, par le jeu de l’écriture guidée, c’est l’occasion d’aider les élèves à produire un texte poétique, en dépassant le fameux obstacle du « mais je n’ai pas d’inspiration ». D’autre part, au fil de la textée, l’explicitation des consignes permet de rappeler divers termes techniques liés à l’explication de texte. Enfin, les contraintes proposées, inspirées des choix d’écriture de Rimbaud, mettent les élèves, via leur pratique personnelle de scripteur, dans une démarche d’analyse des effets poétiques qui sera aisément réinvestie lors de la lecture linéaire à proprement parler.
Déroulé de séance
1. Brève présentation de l’exercice : on rappelle ce qu’était l’OULIPO et comment il a servi de modèle aux jeux de l’émission Des papous dans la tête. On indique l’objectif de l’activité : produire un texte poétique, en prose ou en vers libres, respectant les consignes.
2. Les élèves prennent leur carnet et on lance la textée proprement dite (environ 20/25mn). Voici les consignes proposées. (Elles sont lues et affichées progressivement au tableau)
- Vous expliquez que vous partez à l’aventure. Votre phrase insiste sur votre dénuement.
- Vous rappelez que vous êtes habité par un élan de création poétique.
- Vous précisez que vous attendez beaucoup de cette fuite en utilisant une interjection enfantine.
- Vous précisez un détail cocasse sur votre habillement.
- Vous vous comparez à un personnage de conte de fée.
- Vous expliquez que vous dormez dehors et décrivez le ciel en faisant une personnification.
- Vous évoquez les sensations que vous ressentez lors de cette pause nocturne en utilisant une comparaison.
- Vous précisez que vous composez des vers sur votre route. Cette dernière phrase contient un jeu de mot lié au vocabulaire de la poésie.
Au fil de l’exercice, on n’hésite pas à échanger avec la classe (par exemple sur la différence entre onomatopée et interjection, sur la particularité de la personnification, en fonction aussi des questions qui se présentent). On peut également inviter, après certaines consignes, les élèves volontaires à partager avec la classe le choix qui a été le leur, par exemple pour la référence à un personnage de conte, pour l’onomatopée enfantine ou pour le jeu de mot final.
3. On écoute quelques exemples des productions des élèves, librement commentés par le groupe .
4. On propose alors la lecture du poème de Rimbaud, dans lequel on identifie les éléments qui ont suscité les consignes d’écriture. Certains élèves se félicitent d’avoir « trouvé » certaines formules rimbaldiennes.
5. On fait alors le lien entre l’exercice et les prompts qu’on pourrait proposer à une intelligence artificielle. On propose alors aux élèves le résultat obtenu lorsqu’on soumet l’exercice à chat GPT.
Proposition obtenue via Chat GPT
Je pars à l’aventure, tout seul, sans rien, si ce n’est quelques miettes de rêves dans mes poches et une bouffée d’espoir. Rien d’autre pour m'accompagner que ma solitude crue, mon dénuement absolu.
Je suis porté par cet élan vibrant de création poétique, un souffle qui me pousse sans cesse à poser des mots, à inventer des mondes. La poésie m’habite, me traverse comme une rivière en crue.
Oh, comme j’attends beaucoup de cette fuite, mon cœur palpite d’excitation, une sorte de "youpi" intérieur, tout enfantin, tout insouciant. C’est une aventure qui m’appelle, et je m’y jette à bras ouverts, comme un petit rêveur plein de promesses.
Ah ! Et pour l’occasion, j’ai mis ma chemise à rayures, celle qui me fait ressembler à un marin perdu dans les terres. Oui, j’ai l’air un peu étrange, mais après tout, c’est le genre de détails qui rend la vie plus colorée.
Je suis comme ce personnage des contes, errant dans la forêt à la recherche d’un impossible trésor, sauf que mon trésor à moi, c’est la poésie, qui se cache dans chaque souffle du vent, dans chaque éclat de la lune.
La nuit m’a trouvé, et je dors là, à même le sol, sous un ciel qui semble m’observer avec des yeux d’azur. Le ciel, ce grand regard bienveillant, me berce de ses étoiles, et je me sens tout petit sous cette immensité tendre.
C’est une étrange sensation, dormir dehors, comme si le sol lui-même m’enveloppait dans ses bras, à la fois froid et rassurant, semblable à un vieux manteau trop grand qui me protège de tout, mais qui me laisse tout de même frissonner un peu.
Sur ma route, je compose des vers, un pied devant l'autre, le rythme de mes pas dictant le rythme de mes pensées. À chaque enjambée, je me sens comme un "vers" en liberté, qui se glisse dans l’infini de la nuit, une poésie qui se fait, qui se crée sur le vif.
Réactions du groupe classe
A la découverte de ce texte, plusieurs remarques émergent : de prime abord, les élèves sont impressionnés par la qualité du texte proposé, certains exprimant presque une sorte d’à quoi bon écrire. Assez vite cependant, en lisant le texte plus en détail, des réserves émergent, notamment sur le caractère topique de certaines images (« Je suis porté par cet élan vibrant de création poétique, un souffle qui me pousse sans cesse à poser des mots, à inventer des mondes »), sur des maladresses de formulation ou des lourdeurs (« Oh comme j’attends beaucoup de cette fuite » ; « les yeux d’azur (sic) de la nuit » ou encore « la poésie m’habite » qui a provoqué l’hilarité collective). Les élèves repèrent des consignes mal comprises (Se comparer à un personnage de conte) et le jeu de mot sur le « vers » en liberté suscite un débat amusé.
En revanche, le hasard de certaines formules très proches du poème rimbaldien les interpelle : mention des poches au début, mais surtout « comme un petit rêveur » ou « un pied devant l’autre » à la fin du texte.
On leur propose de comparer en détail les choix du poète et la proposition de l’I.A. sur le passage suivant :
« les poings dans mes poches crevées »
VS
« sans rien, si ce n’est quelques miettes de rêves dans mes poches »
L’exercice permet de faire assez vite émerger la profondeur du texte rimbaldien, sa complexité, et, surtout la distance qu’il y prend avec les lieux communs et les expressions toutes faites. Les formules de Rimbaud sont plus surprenantes (les « poings » au lieu des mains ; « crevées » au lieu de trouées) et nous amènent vers l’idée de révolte, soulignent l’arrachement que constitue paradoxalement pour lui la fugue pourtant si attractive.
On conclut sur l’idée que la poésie est toujours aussi une émancipation vis à vis du langage ordinaire, qu’elle emmène la langue ailleurs.
Prolongement de la séance
1. Lors de l’heure suivante, les élèves décortiquent le texte par groupes dans la perspective de la lecture linéaire. Ce travail d’écriture préalable et les échanges menés sur leurs productions et celle de l’I.A., toujours confrontés au poème ont largement déblayé le terrain. Les élèves sont capables de faire rapidement de nombreuses remarques pertinentes.
On problématise et on élabore ensemble le fil conducteur de l’explication linéaire.
2. Activités possibles avec l’I.A. : les élèves peuvent écrire, seuls ou en groupe, des consignes de textée à partir d’autres poèmes du recueil.
Ces consignes peuvent être évaluées pour elles-mêmes. (Sont-elles une description fidèle du texte?). Elles permettent aussi de travailler de manière ludique l’appropriation du recueil en projetant les consignes aux élèves et en leur demandant de reconnaître le poème source.
1 On peut écouter de nombreux épisodes de l’émission sur le site de la radio : Des Papous dans la tête : podcast et émission en replay | France Culture