Du faux médiéval aux fake news | France Culture
On connaît les révolutions politiques ainsi que les révolutions industrielles mais il y a une sorte de révolution dont on ne parle pas car elle est invisible, presque insensible: ce sont les révolutions graphiques, celles qui concernent l’écriture. Il va être question de deux de ces révolutions, l’une très lointaine – qui remonte au Moyen Âge – et l’autre ultracontemporaine, et pour cause, car c’est celle que nous vivons ; et l’on va en quelque sorte d’éclairer la plus contemporaine, celle opérée par le numérique, par la plus éloignée, celle provoquée par la généralisation de l’écrit qui mit plusieurs siècles à s’accomplir.
Les sociétés de l’Occident médiéval entre le monde carolingien et le XIV siècle ont été transformées par la révolution de l’écrit. La force de l’écrit ne se laisse pas mieux voir qu’en suivant l’histoire de son contraire, à savoir celui du faux. L’histoire de l’idée de falsification d’un original permet de saisir l’évolution de la conception de la vérité à travers l’autorité conquise par l’écrit. C’est histoire est longue car ce n’est que progressivement que le faux comme un acte intentionnel de dissimuler pour obtenir des droits et des rentes auxquelles on n’a pas droit, s’est imposée. Pendant de longs siècles les frontières entre une vérité tronquée, une vérité raccommodée à tous les sens du terme, c’est-à-dire celle dont on comble les trous, et une vérité imaginée par la fiction, n’étaient ni stables, ni précisément délimitées, Paul Bertrand nous explique "effectivement, au Moyen Âge, il y avait différents niveaux de vérité et de faux. Les médiévaux ont hérité de l'Antiquité un concept assez complexe, mais qu'ils utilisent sans problème, qui est le passage de la fabula, la fable, au factum, le fait, l'histoire, ce qui est définitif. Et entre les deux, ils ont récupéré de Cicéron et d'une série d'auteurs antiques l'argumentum, c'est ce qui est probable, ce qui est faisable, ce qui est envisageable. L'argumentum, c'est cette espèce de ventre mou, cette sorte de lieu creux, qu'on peut utiliser à sa guise, sans souci du vrai ou du faux."
L’histoire de cette construction de la confiance dans l’écrit est d’autant plus instructive que nous assistons aujourd’hui au mouvement inverse, c’est-à-dire à une diminution de la confiance dans l’écrit. Concernant la question de la traçabilité de l'information à l'ère numérique, Emmanuelle Bermès ajoute "si on va sur Wikipédia et qu'on clique sur l'onglet historique, on va pouvoir voir toutes les modifications qui ont été faites, par qui elles ont été faites, on a une traçabilité très précise et c'est ça qui va nous permettre d'avoir encore une forme de confiance dans le numérique grâce à cette traçabilité. Dans le monde numérique, il ne s'agit plus de l'écrit en lui-même dans lequel on a confiance, il s'agit de cet écrit accompagné de toutes ces information qui permettent de savoir d'où il vient, qui l'a fait etc...ce sont des éléments qu'on retrouve aussi dans les processus d'authentification des chartes au Moyen Âge de manière assez similaire".
Le rapport entre la vérité, mensonge et fiction redevient problématique. Nous assistons également à une crise de la notion d’auteur comme au Moyen Âge. Comment comprendre l’ère de la post-vérité dans laquelle nous entrons en la rapprochant du Moyen Âge qui a mis de longs siècles à sortir du flou entourant l’opposition du faux et du vrai.