Des élèves tuteurs : les « experts numériques » (TraAM 2016-2017)

Par Hélène Mulot

On connaît ici ou là des expériences d’assistants CDI, de déléguées CDI. Je n’en ai jamais eu, en tout cas pas de façon organisée et construite. Au grès des besoins, des envies, certains élèves aident parfois à la gestion et à l’organisation du CDI. Comment, dans ces activités-là, prendre en compte les pratiques des élèves et ne pas en faire juste des petites mains au service du fonctionnement d’un lieu ? Comment favoriser à travers ces activités d’aide une continuité avec les apprentissages ?

Je me demandais depuis deux années que nous amenons les élèves au Fablab Artilect de Toulouse comment transposer au CDI et dans l’établissement cet état d’esprit de maker, de partage, d’entraide où les liens et les échanges interpellent les élèves ? C’est en lisant un article de Claire Pommereau «Coachs numériques»  que je me suis dit qu’il y avait sans doute des choses à explorer. Ce que j’ai retenu de son billet c’était :

  • De proposer des tâches à des élèves liés à leurs compétences numériques.
  • Valoriser l’engagement des élèves dans le projet en l’inscrivant dans le parcours citoyen.

 

Par contre il manquait encore la dimension d’engagement des élèves et la co-construction du projet avec eux.

Ainsi, un groupe d’élèves volontaires se retrouve les vendredi midi autour d’un atelier en auto-gestion pour proposer des ateliers thématiques et « construire » des  tutoriels autour du numérique et de l’informatique  (recherche d’image, Scratch…)

La mise en place de ce groupe d’élèves experts répond à plusieurs problématiques :

  • Comment s’appuyer sur des pratiques individuelles et scolaires pour développer des compétences interpersonnelles ?
  • Quelles traces laissent les élèves de leurs apprentissages au sein du CDI ?
  • Comment susciter de la créativité auprès des autres élèves ?
  • Comment consolider des compétences et capacités utiles au numérique qui se développent ailleurs dans le lieu CDI ?
  • Comment faire en sorte que ces apprentissages de pairs à pairs ne restent pas ponctuels. Et surtout que l’image encore parfois présente du lieu « comme un service » tende pleinement vers celle d’un lieu d’entraide et de coopération.

 

De façon naturelle quand un élève est face à un problème, une difficulté c’est vers l’adulte qu’il se tourne. Nous nous retrouvons alors en tant que professeur documentaliste au mieux à répondre à de nombreuses sollicitations simultanées, au pire à ressentir une sensation désagréable des mauvais jours d’être prestataires de service.

L’idée de proposer des experts numériques a été construite collectivement au sein du groupe de travail que nous avons depuis 3 années maintenant (le pédagolab).

Nous avons alors dressé une série de constats :

  • une grande fracture numérique dans les usages de nos élèves, nous avons relevé de réelles lacunes en savoir-faire manipulatoires sur l’outil informatique notamment chez quelques élèves de 6e. D’autres, au contraire, ont une grande appétence et ont envie de découvrir des logiciels ou de voir ce qu’il est possible de découvrir sur un ordinateur ou une tablette.
  • La question « je peux aller sur un ordinateur ? » lorsque les élèves rentraient au CDI, sans trop savoir quoi y faire lorsqu’ils n’avaient pas réellement un travail à faire. Comment prendre en compte ces demandes qui ne reflètent rien d’autre que des pratiques informelles des jeunes quand ils sont chez eux.

Nous avons donc préparé ensemble une feuille de route pour ce que nous imaginions autour de ce groupe d’élèves :

  • Une grande liberté de s’engager. Pour autant il nous a semblé nécessaire de cibler au préalable quelques élèves susceptibles d’être moteurs du groupe, notamment parmi les élèves qui avaient participé au module d’EMI et de culture numérique les années précédentes
  • Une grande liberté dans la gestion du planning : les élèves experts doivent eux même réserver la salle informatique lorsqu’ils veulent organiser un atelier par exemple
  • Développer leur autonomie. C’est lors des journées pédagogiques de fin d’année que nous avions rédigé un objectif simple autour de cette notion fourre-tout d’autonomie. L’autonomie c’est rendre l’élève capable de trouver les ressources (personnelles mais aussi humaines et matérielles) qui l’aideront à monter de niveau dans ses apprentissages). Être autonome c’est donc être capable de demander de l’aide quand on en a besoin et de savoir verbaliser un besoin.
  • Le CDI comme un lieu d’inclusion où ce ne serait pas nécessairement les élèves les plus forts qui viennent aider les plus faibles. D’ailleurs parmi le groupe des experts j’ai été surprise de voir s’inscrire certains élèves pourtant pas toujours à l’aise avec l’outil informatique.

 

Pour autant je voulais vraiment lâcher- prise sur ce projet pour voir ce que les élèves étaient en capacité de mener, de construire seuls et collectivement. Je me suis donc positionnée dès la 1e rencontre en facilitatrice en exposant l’idée de départ, mais en laissant ensuite au groupe d’élèves le soin d’édicter des règles de fonctionnement. Ici mon intervention est indirecte à travers la mise à disposition du lieu, des équipements et du matériel.

Pas d’engagement, pas de formation spécifique, pas d’intervention de ma part sur le contenu, ni sur la forme des ateliers.

Très vite les élèves ont verbalisé quelques lignes : des petits groupes, l’aide sur des logiciels qu’ils connaissent et qu’ils ont envie de faire découvrir.

A terme nous souhaiterions mener les élèves vers différents niveaux d’engagement

  •         proposer et organiser un atelier thématique
  •         réaliser des tutoriels à mettre à disposition des élèves
  •         partager ces tutoriels en ligne
  •         les élèves proposeront mais les profs pourront aussi passer des « commandes » par ex en SVT mon collègue imagine avoir un tutoriel vidéo pour le microscope.

 

Pour aller plus loin

Dans la pédagogie de projets, et globalement dans la plupart des séances de publication que je mène j’ai pour habitude de m’inscrire dans la pédagogie différenciée. Ainsi sur un même projet les élèves savent quel est le minimum à produire. Ce sont des données souvent quantitatives que les élèves peuvent mesurer facilement  (un nombre de diapo déterminé, un enregistrement de X seconde dans le cas d’un audioguide, trois arguments dans le cas d’une controverse etc). Ce minimum est fixé en fonction de ce que je pense que le groupe classe sera capable de fournir à minima. Bien sûr certains élèves sont en capacité de dépasser très vite ce minima et sont alors disponibles pour aider les autres. C’est par la répétition, l’explicitation que l’apprentissage et le transfert se mettent en place. Les élèves ont rarement la même production, parfois même n’utilisent pas les mêmes outils pourtant ils sont capable d’aider d’autres élèves à terminer leur travail ou à surmonter une difficulté. Au bout de quelques séances seulement les élèves intègrent ce système qui introduit une motivation supplémentaire dans la mise au travail.

 

Les questions et obstacles

Comme dans tout projet collaboratif, s’il n’y a pas de leadership affiché, comme cela a été le cas dans cette expérience, comment assurer une pérennité aux rendez-vous ? Comment faire concrètement, pour que les élèves, pensent par eux même à assurer leur rendez-vous hebdomadaire ?

D’autres projets m’amènent à des débuts de réponses, comme les Flashmasterpice, ces « événements du CDI » proposés régulièrement où l’implication des élèves est plus importante. Est-ce que les one shots fonctionnent mieux qu’un engagement au long cours ?

Pour cette première année, nous avons choisi uniquement des élèves de 3e. Nous pensons avec le recul qu’il serait bon d’ouvrir le dispositif à l’ensemble des classes. Chacun ayant des savoirs à partager.

Finalement même si l’expérience n’a pas été pleinement satisfaisante, il n’en reste pas moins que c’est une voie fertile pour permettre aux élèves de développer des capacités et des capabilités au sein du CDI. Dépassant l’idée de service, ou de simple engagement, les élèves  expérimentent au CDI  à la fois des compétences qui relèvent du développement personnel (telles que avoir de l’empathie pour les autres, savoir partager un talent, le développement de l’estime de soi) mais aussi des compétences sociales et collectives (quelque chose qui relève de l’altérité et de l’ouverture à l’autre)

 

Des ateliers numériques comme tiers-lieu ?

C’est en réalisant un entretien avec Antoine Burret sur la notion de Tiers-lieux, que j’ai réalisé que cette proposition d’atelier menée par une communauté d’élèves qui se fixe des objectifs, qui fixe même le contenu des ateliers était un tiers-lieu c’est-à-dire un espace-temps proposé et investi. Cette communauté s’appuie sur des savoirs en EMI (acquis en cours d’année et les années précédentes), fixe ses propres règles et construit des ressources. On est bien là sur la voie des Communs de la connaissance et les élèves développent des compétences qui relèvent de la littératie des Communs.