A l'ère de l'information en continu, il est important de ralentir le flux et de prendre le temps d'analyser la couverture médiatique d'un évènement qui fait la Une de tous les journaux.
Le 21 octobre 2020, a lieu l'hommage national à Samuel Paty, professeur assassiné pour avoir montré des caricatures de Mahomet lors d’un cours sur la liberté d'expression. Le 22 octobre, les Unes de la presse nationale et régionale titre quasiment toutes sur l'évènement, de façon assez consensuelle.
Les élèves de 1ère suivant l’enseignement de spécialité histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques étaient précisément en train de finir le thème 4 du programme : S’informer: un regard critique sur les sources et modes de communication.
Il nous a donc semblé intéressant de les faire réfléchir sur la couverture médiatique d’un tel évènement. Nous leur avons proposé de travailler par groupes de 4 élèves. Chaque groupe disposait des photocopies couleur des Unes de 9 quotidiens : Le Figaro, Libération, Le Monde, L’Humanité, le Parisien, la Dépêche du Midi, Ouest France, La Voix du Nord, La Marseillaise, ainsi qu’un aide-mémoire sur les différents plans de cadrage. En outre, chaque élève avait la feuille "proposer un parcours dans les Unes du 22 octobre 2020" qui posait quelques questions pour guider la réflexion :
- Quelles remarques générales sur ces Unes ? Explicitation à l’oral pour les groupes demandeurs : peut-on distinguer des ensembles ?
- Quel vocabulaire employé ? Quel registre ? Quelles citations ?
- Quel cadrage de la photo ?
En conclusion, les groupes devaient proposer un titre pour cette couverture médiatique.
Les élèves ont tous mis à part les Unes de l’Humanité et du Figaro face à un large ensemble, la Une du Monde se trouvant, selon les groupes, avec l’un ou l’autre des ensembles. Lors de la remontée, cela a été l’occasion de replacer ces journaux sur l’échiquier politique, de parler de pluralisme et de consensus. Les élèves, en étant guidés, ont pris conscience que les Unes ne se situaient pas dans le même temps : l’ensemble principal nous plongeant dans le maintenant du deuil et de l’émotion, alors que les Unes de l’Humanité et du Figaro posaient les questions de l’avant et de l’après, ce qui relevait davantage du questionnement politique, de l’analyse.
Les groupes avaient bien repéré le vocabulaire du combat, identifié les citations du discours du président de la République, certains ont trouvé la référence au Chant des Partisans. On a alors parlé du sous-texte qui peut être présent dans les titres. Les élèves ont parlé de registre solennel, d’émotion, un groupe a employé le terme « dramatique », ce qui nous a permis une transition vers la dramaturgie, «l’art de transformer une histoire, vraie ou imaginaire, en un récit construit, comportant un ou des personnages en action » selon wikipedia.
A l’oral, nous nous sommes attardés sur les Unes de Libération, Ouest France et la Marseillaise, sur le choix des cadrages qui, allié au titre, propose une mise en scène, délivre un message. Nous avons particulièrement parlé du « visage de la République », de la personne qui devient symbole. Certains ont prononcé le mot « martyr », qui a une connotation religieuse, auquel nous avons préféré le mot « héros » plus laïc. Nous en sommes donc arrivés ensemble à « la fabrique du héros » pour titre de la couverture médiatique et nous avons courtement parlé de l’instruction laïque et du roman national fédérateur.
Nous n’avons consacré qu’une heure à cet exercice, ce qui était un peu court. Une deuxième heure aurait permis aux élèves d’aller plus loin et d’approfondir l’analyse d’image que nous avons faite à l’oral, faute de temps.
En conclusion, nous avons clairement dit qu’il s’agissait d’exercer son esprit critique et que , si nous savions bien que la presse écrite n’était pas le support habituel d’information des jeunes, les Unes permettaient d’arrêter le regard et de prendre le temps d’analyse. Le but était bien de comprendre qu’une « information » est, par définition, une mise en forme et n’est donc jamais neutre et que le choix des mots et des images délivre un message.
[Article soumis par Chantal Combes-de Cazanove, professeur documentaliste au Collège-Lycée Saint Joseph à Gaillac]